Electric Circus, Common

Electric Circus, Common

MCA, 2002

Depuis ses débuts Common a fait du chemin. Si on oublie son premier essai Can I Borrow A Dollar? qui n’a pas relevé les attentes, Common a fait un sans-faute depuis Resurrection. Common a commencé en étant un artiste underground avec une mention dans la rubrique Unsigned Hype du magazine The Source dès son premier album. Resurrection, même si aujourd’hui considéré comme un grand classique du Jazz-rap, est resté à l’époque un album underground et n’a pas eu le succès commercial escompté. One Day It’ll All Make Sense a subit le même traitement. Jusque-là, la recette de Common avec son flow doux, sa diction parfaite et les productions Jazzy de No I.D. n’a pas réussi à décoller dans le mainstream tout en satisfaisant les amateurs plus avertis du Hip Hop en recherche de rap authentique et de lyrics habiles.

A la fin des années 90, Common quittera sa maison de disque, Relativity, qui l’a suivi depuis ses débuts, pour MCA, probablement en quête d’un plus grand succès commercial. Dans ce changement, Common quitte finalement Chicago pour New York, un virage important dans sa carrière. A partir de ce moment, le jeune producteur de Chicago, No I.D. n’apparaitra plus à la production comme sur les précédents albums de Common, au profit de son nouveau collectif, les Soulquarians, composé à la fois d’instrumentalistes, de beatmakers, de crooners et de rappeurs.

Bien que les Soulquarians soient globalement assez proche du style initial de Common avec des sonorités Jazz et Soul, Common changera son style assez radicalement sous cette nouvelle direction artistique dirigée par le batteur des The Roots Questlove. Ses nouveaux amis l’accompagneront à la fois dans la production mais aussi dans le chant et dans le rap, ce qui confère à Common un style moins brut et moins minimaliste qu’habituellement, qui démarrera dès le premier album sous cette nouvelle direction avec Like Water For Chocolate.

Like Water For Chocolate restera assez classique dans l’approche et toujours dans les sonorités Jazzy/Soul que Common a l’habitude d’explorer. Mais l’album sera bien plus complexe et sophistiqué dans le style, et permet notamment à Common d’atteindre un plus grand succès commercial. Il n’est plus un artiste underground et passe au statut de Mainstream avec des titres comme The Light.

Là où Like Water For Chocolate pouvait être vu comme un premier essai expérimental acceptable dans le sens où il reste très ancré dans les bases du Hip Hop traditionnel, Electric Circus sera d’autant plus expérimental et éclectique. En ce sens, certains considéreront que les Soulquarians ont tué la carrière de Common. Est-ce le cas ? Même sans considéré le succès commercial et l’accès au statut de rappeur mainstream, la réponse est NON. Common a fait un move très intéressant qui lui a permis d’explorer des sonorités plus éclectiques dès Like Water For Chocolate, et qu’il confirmera avec Electric Circus.

Common

I wasn’t feeling hip hop. So my motivation for that album were other genres of music, like Pink Floyd and Jimi Hendrix. It wasn’t hip hop.

Sur Electric Circus, Common ira chercher des sonorités à la fois Hip Hop, Pop, Rock, Soul, Électronique et plus légèrement Jazz. Un drôle de mélange pourrait-on penser, mais en réalité pas si c’est bien exécuté. Et avec les talentueux Soulquarians, l’exécution peut difficilement être bâclée. Oui, c’est différent, oui c’est osé, oui c’est éclectique, oui c’est expérimental. Il ne faut pas s’attendre à l’approche minimaliste de Resurrection. Une fois ceci considéré, l’album est une merveille musicale.

Questlove dirige la majorité de la production accompagné de James Poyser, J Dilla et Pino Palladino. Après une intro avec un chant africain sur Ferris Wheel, Soul Power démarre l’aventure avec un beat de batterie et une mélodie simple et efficace qui se rapproche d’un Boom Bap plus traditionnel, où Common dompte le rythme avec un flow précis et rythmé. La suite sera plus clivante, des morceaux abstraits comme Aquarius ou Star 69 font leur apparition. Electric Wire Hustle Flower apporte un aspect Grunge avec Sonny Sandoval de P.O.D. pour refrain crié agressif. I Am Music explore des sonorités Swing, de son côté Come Close est beaucoup plus douce et mélodique. New Wave offre un contraste entre le refrain doux et la production futuriste bouncy. La guitare électrique sur I Got A Right Ta produit par Pharrell et son chant magnifiquement bluezy fonctionne parfaitement.

Common est comme à son habitude impeccable avec une diction et une énonciation limpides, s’adaptant parfaitement au beat, parfois plus calme sur Come Close ou plus nerveux sur I Got A Right Ta. L’équipe des Soulquarians l’accompagne pour poser des magnifiques refrains chantés, Bilal, Erykah Badu ainsi que d’autres chanteurs Soul, Vinia Mojica, Omar, Mary J Blige ou encore Jill Scott. Common dénonce les abus sexuels et leurs conséquences psychologiques sur Between Me, You and Liberation. Jimi Was a Rock Star est un hommage magnifique à Jimi Hendrix sur un morceau instrumental progressif en duo avec Erykah Badu. Pas moins de 8 personnes viennent clôturer l’album pour un morceau de 10 minutes, Heaven Somewhere, où ils échangent leur interprétation du paradis.

L’album peut être déroutant dans le sens où il est beaucoup plus instrumental qu’à l’habitude de Common, avec beaucoup de passages sans parole, ni rap, ni chant. Mais en réalité, c’est aussi la beauté de l’album. Même si les lyrics sont bien travaillées, l’album se concentre plus sur l’instrumentation que sur les textes, ce qui a tendance à parfois mettre Common légèrement en retrait, d’autant plus marquant que la plupart des refrains sont chantés par des invités. On pourrait penser qu’il s’agit plus d’un album de producteur où la direction artistique prend le dessus sur la volonté musicale du rappeur. Même si le trio de producteur, Questlove, J Dilla et James Poyser sont en effet les grands artisans de la musicalité de l’album, Common n’est pas en retrait dans cette volonté artistique. Electric Circus est une mise en scène électrique où Common va puiser son inspiration dans des sources variées. A l’image de la couverture, inspirée de Midnight Marauders ou Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, Common a souhaité dépeindre les 87 personnes qui l’ont de près ou de loin inspiré pour la réalisation de cet album.

Après son départ de Chicago, Common part à la recherche de nouvelles sonorités qu’il commence à explorer avec les Soulquarians sur Like Water For Chocolate et Electric Circus. Il se rapproche ensuite de Kanye West pour Be et Finding Forever, et de Pharrel Williams sur Universal Mind Control, avant de revenir une décennie plus tard avec son producteur de ses débuts, No I.D., avec The Dreamer/The Believer et Nobody Smiling. Common a toujours su faire des moves intéressants dans sa carrière pour explorer de nouvelles sonorités et se renouveler, Electric Circus est l’un des premiers. Il prouve qu’il est capable d’explorer des sonorités inhabituelles avec un album expérimental magnifique qui repousse les frontières du rap. C’est osé, original et impeccable.

Note : 5/5

Par Grégoire Zasa


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