L’espoir du sauveur du rap game Lupe Fiasco

L’espoir du sauveur du rap game Lupe Fiasco

« Food & Liquors », un vent de fraicheur dans un Hip Hop perdu

1st & 15th / Atlantic, 2006

« La mainstream-isation du Hip Hop »

Au milieu des années 2000, entre 2005 et 2008, le Hip Hop commençait à se diviser, une nouvelle évolution était en marche. Certains étaient prêts pour cette évolution et l’ont accepté volontiers, ou encore certains ont simplement pris le train en marche de cette nouvelle génération naissante. D’autres, et notamment les « old heads », avaient déjà plus ou moins abandonnés vers le début des années 2000 avec l’arrivé du rap sudiste. Le milieu des années 2000 a porté le coup de grâce pour toute une génération nostalgique qui ne se retrouvait plus dans le Hip Hop.  S’il ne s’agit pas de la première révolution dans le Hip Hop, elle est peut être celle qui a été la plus brutale, voir même la plus transgressive.

Certains ont vu les prémisses de cette évolution dès le début des années 2000 avec l’apparition d’un rap plus commercial, plus orienté R&B, en un sens plus radio-friendly. Le Hip Hop s’affranchissait de plus en plus de son aspect confidentiel, de ce côté réservé aux amateurs, une autre catégorie de personne commençait de plus en plus à écouter du Hip Hop. Pourtant, au début des années 2000, l’évolution naissante paraissait encore acceptable d’un point de vue musicale, le côté street, « real », demeurait presque intact, notamment avec des rappeurs tels que 50 Cent, Ja Rule ou encore Cam’Ron.

Bien qu’il fut vu comme un rappeur/producteur prometteur, très apprécié à ses débuts, Kanye West a petit à petit émancipé le rap de son côté street pour se rapprocher de quelque chose de mainstream, notamment avec le back-pack rap. Dans une autre mesure et pour des raisons différentes, Eminem a également contribué à cette émancipation. Pharrell Williams y a aussi participé. Le côté Pop envahissait de plus en plus le Hip Hop, et cette évolution s’est intensifiée au fil des années jusqu’à son point de rupture en 2007 avec Graduation de Kanye West, qui a marqué le triomphe du pop-rap mainstream sur le gangsta rap, notamment grâce à la victoire de Kanye West contre Curtis de 50 Cent (on en parle dans la vidéo au dessus). Nas avait d’ailleurs annoncé la mort du Hip Hop un an avant avec Hip Hop Is Dead.


« L’espoir du sauveur »

En même temps, le rap du Sud commençait de plus en plus à établir son pouvoir sur la carte du Hip Hop, ce qui enthousiasmait encore moins les old-heads, notamment pour le manque lyricalité et son aspect trop clubbing. Dans ce contexte, un jeune rappeur, d’ailleurs proche de Kanye West et appuyé par Jay-Z, était vu comme le sauveur, celui qui était capable de ramener le Hip Hop dans le droit chemin, avec le point de rupture de Graduation en 2007 qui n’était pas encore atteint, l’espoir était permis. Pourtant, ce rappeur de Chicago n’était pas fondamentalement street, en tout cas il n’était pas gangsta, mais il avait la plume pour redorer l’image du Hip Hop, tout en abordant des sujets sociétales sérieux. J’ai nommé Lupe Fiasco.

Découvert sur l’album Late Registration de Kanye West en 2005, peu avant la rupture opérée par Kanye, Lupe Fiasco avait surpris les fans sur le morceau Touch The Sky avec un couplet aiguisé. Lupe Fiasco pouvait porter le Hip Hop vers une nouvelle ère, un retour à un rap plus conscient tout en suivant l’évolution musicale, notamment avec le Soul sampling de Kany West. Pris sous l’aile de Jay-Z qui apparait en tant que producteur exécutif à côté du rappeur principal, Food & Liquors était attendu par tous les fans de Hip Hop. Septembre 2006, le saint-graal tant attendu débarque.


« Les débuts prometteur de Lupe Fiasco »

Originaire du quartier défavorisé de West Side de Chicago, Wasalu Muhammad Jaco a grandi dans un environnement difficile, vivant à proximité d’une maison de crack et au milieu des prostitués, son père lui a appris à se servir d’une arme pour se défendre des dealers. Pourtant, Wasalu a reçu une éducation rigoureuse auprès de son père, qui était ingénieur, membre des Black Panthers et professeur de karaté, tout en étant batteur et fan de musique noir américaine, comme il a pu l’indiquer lui-même lors d’une interview :

« After school, my father would come and get us and take us out into the world—one day, we’re listening to N.W.A, the next day we’re listening to Ravi Shankar, the next day, he’s teaching us how to shoot an AK-47, the next day, we’re at karate class, the next day, we’re in Chinatown…”

Très jeune, Lupe s’intéresse à la musique, notamment grâce à son père. Il commence à enregistrer dans la cave de ce dernier pour devenir rappeur, idée qui ne plait pas forcément à ses parents. Au lycée, il rejoint plusieurs groupes successifs, notamment un groupe de gangsta rap, mais cette direction artistique ne lui plait pas et estime qu’elle ne lui ressemble pas. Il préfère se concentrer sur le lyricisme, il continue d’enregistrer seul avant de se faire repérer par Jay-Z pendant son passage éphémère chez Arista, ce dernier l’aidera à signer un contrat avec Atlantic pour enregistrer un premier album. Plusieurs mixtapes verront le jour, les Fahrenheit 1/15, ce qui lui donnera une visibilité sur la scène rap et ce fameux statut de rappeur prometteur avant la sortie de son premier album.

Malheureusement, comme beaucoup d’albums de cette époque, il a fuité quelque peu avant sa sortie. Quelques morceaux intéressants, comme l’anarchiste Spaze Out ou Hustaz Song sur le back-pack rap ont été retiré de la version originale, remplacés par des titres plus conventionnels à destination d’un public plus radio-friendly, Une nouvelles fois, on se retrouve privé de la créativité originale d’un album.


« La musicalité et les paroles de l’enfant prodige »

Lupe Fiasco va s’identifier dans un style hybride entre le Hip Hop de Kanye West et son Soul-sampling et le côté orchestral de Blueprint de Jay-Z, tout en incluant quelques éléments de Skateboard P, notamment l’aspect légèrement Rock. Mais contrairement aux trois cités, Lupe va être d’autant plus lyricale avec un aspect politico social. Même si Food & Liquors n’est pas un album introspectif à proprement parler, il va décrire la vision de Lupe Fiasco sur différents aspects de la société, avec des passages de sa vie et de son vécu, notamment sa relation avec son père.

Le titre de l’album n’est pas anodin et va dans ce sens. Food and Liquors fait référence aux magasins de quartier qu’on peut retrouver à Chicago, mais il est surtout une dichotomie entre le bien, la nourriture, et le mal, l’alcool, une métaphore de la difficulté du choix entre le bien et le mal dans la vie en général mais aussi dans l’environnement défavorisé dans lequel il a grandi à Chicago. L’album démarre avec une introduction où il parle de son quartier à Chicago avant de réciter les premiers versets du Coran. Je ne vais pas expliquer la signification de ces versets, n’ayant pas les connaissances en arabe pour interpréter correctement ce message, mais c’est révélateur de son éducation et sa confession musulmane.  

Le premier morceau, Real, revient directement sur le fait d’être « real » avec sa propre définition du terme, faire de la musique qui plait à son auteur, ne pas se travestir pour rentrer dans les codes ou ce que le public pourrait attendre. Soundtrakk donne un côté légèrement rock au morceau avec sa guitare électrique prédominante. Kick, Push est un nouveau morceau où il nous présente sa vision à travers sa passion pour le skateboard. La construction du titre est prodigieuse, parler de sa passion à travers différents aspects du skate pour finalement parler de sa vie et de son vécu. Les cordes et les cuivres utilisés sur la chanson par Soundtrakk fonctionnent ensemble à merveille. La patte Neptunienne se repère sans même regarder les crédits sur I Gotcha avec un beat typique de Pharrell, avec notamment son utilisation de synthé. La prouesse ici est peut-être la façon dont Lupe glisse sur ce beat avec un flow plein de versatilité.


« Une Soul mélancolique pour des paroles introspectives et sociales »

D’autres morceaux bien plus Soul apparaissent. Daydreamin sample magnifiquement Daydream in Blue de I Monster, sur un refrain Soul de Jill Scott. Craig Kallman donne beaucoup de consistance dans sa production avec une morceau évolutif qui tient en haleine sur toute la longueur jusqu’à ralentir le rythme pour laisser Jill Scott entrer merveilleusement sur le refrain. Kanye offre une Soul électrifiée sur The Cool avec une douceur mélancolique où Lupe peut s’exprimer à merveille sur des histoires de quartiers et un message poignant sur l’au-delà. L’un des moments forts de l’album arrive avec Hurt Me Soul, il est difficile de décrire ce morceau tant il fonctionne à merveille sur tous les plans. La petite Soul mélancolique avec une dose de dramaturgie de Needlz, le flow a coupé le souffle de Lupe et le refrain soulfull chantonné. Tout est parfait pour supporter les paroles exceptionnelles du rappeur qui nous offre une analyse pleine de sincérité sur son quartier avec une poésie poignante. Un morceau qui a la capacité de vous tirer les larmes des yeux tellement Lupe y met de l’émotion et l’intensité.

Hurt Me Soul, Lupe Fiasco

« Now I ain’t tryna be the greatest
I used to hate hip-hop… yup, because the women degraded
But Too $hort made me laugh, like a hypocrite I played it
A hypocrite I stated, though I only recited half
Omittin the word « bitch,  » cursin I wouldn’t say it
Me and dog couldn’t relate, til a bitch I dated »

Le rock de Mike Shinoda des Linkdin Park sur The Instrumental provoque aussi son lot d’émotion avec une douce mélancolie et une critique de l’obsession de la télévision de Lupe. L’orchestral et électronique Just Might Be OK est sans doute du titre le plus racoleur de l’album tout en étant aussi le plus risqué. Ce n’est pas le plus intéressant de l’album mais il fonctionne dans son style avec un côté légèrement épique et robotisé. L’apparition de Jay-Z sur Pressure avec une nouvelle production de Prolyfic est tout aussi électrique que le précédent cité. 

Food & Liquor fonctionne définitivement à merveille avec une ambiance mélangeant à la fois de la Soul, du Rock et les éléments plus classiques du Hip Hop. L’album sonne dans son temps sans avoir d’équivalent avec une esthétique si particulière pleine de mélancolie, de dramaturgie et de luxuriance. Lupe s’enivre de jeux de mots habiles et d’une belle poésie qui vient supporter un message social poignant tout en intégrant beaucoup d’histoires de son vécu. Il n’a pas peur de taper dans la fourmilière en cassant les codes, tout en restant toujours fidèle à lui-même, à sa propre vision du monde et du Hip Hop, ce qui semble définitivement important pour lui. Au-delà des textes, Lupe prouve qu’il est un excellent rappeur capable de beaucoup de versatilité et un contrôle de sa respiration exceptionnel, son flow sonne juste à tous les coups tout en apportant de l’émotion avec une grande capacité d’interprétation.


Certains diront que le succès de Lupe est dû au timing parfait dans cette transition du Hip Hop. S’il est difficile de nier qu’il a bénéficié d’un bon timing, on ne peut pas non plus nier ses qualités à la fois de rimeur et de rappeur. Lupe n’a peut-être pas sauvé le Hip Hop quand on voit le vide artistique que la deuxième partie des années 2000 a subi, mais il a réussi à apporter un vent frais avec un album qui revient aux bases du Hip Hop, des paroles véritables tout en intégrant une musicalité unique. Oui, Lupe Fiasco a réussi un tour de force dans le Hip Hop en 2006 avec cet album. Un album qui mérite d’être cité parmi les plus grands. Si d’autres rappeurs avaient suivi son modèle, les Hip Hop heads, dont je fais partie, n’auraient pas autant dénigrer le Hip Hop de cette période. 
Note : 4/5

Par Grégoire Zasa


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