La mélancolie noire et morbide de Kno

La mélancolie noire et morbide de Kno

« Death Is Silent », le chemin vers une mort lente

APOS Music / QN5 Music, 2010

« Kno, l’architecte des Cunninlynguists »

Les Cunninlynguists ont su s’imposer comme un groupe underground, incontournable des années 2000, et toutes les Hip Hop heads nostalgiques de la grande période du Golden Age ont trouvé du réconfort en se plongeant dans ce jeune groupe à l’approche relativement 90s. Même s’ils ne sont pas fondamentalement ancrés dans le boom bap, leur style ravie les fans de cette période échue grâce à un travail qualitatif, tout en satisfaisant aussi les auditeurs des années 2000.

J’ai toujours été un grand fan inconditionnel de ce groupe du Kentucky et chacun des albums m’apportaient son lot de surprise tant leur discographie est évolutive tout en conservant une marque de fabrique bien à eux, en partie grâce au travail prodigieux du producteur Kno et sa tendance marquée pour la mélancolie. Will Rap For Food avait une approche assez traditionnelle pour un album underground, vivre de sa passion, simplement pour manger, comme son nom l’indique, sans grande prétention de succès commercial. De son côté, Southernunderground propose des sonorités plus ancré dans le Sud avec la créativité musicale d’un Outkast, une source d’inspiration certaine pour le groupe. Le groupe continuera sur des albums conceptuels avec A Piece of Strange et Oneirology, respectivement un album basé sur le péché et l’autre sur les rêves, concept parfait pour la mélancolie de Kno. J’omet volontairement Dirty Acres qui, bien que très qualitatif, n’est, à mon sens, pas le plus intéressant du groupe. Chacun des albums pourraient s’analyser en détail tant le travail du groupe est prodigieux, mais chaque chose en son temps.


« L’album automnale »

A quelques jours de la fête des morts, et accessoirement d’Halloween, le moment est parfait pour se replonger dans le solo du fameux producteur des Cunninlynguists avec Death Is Silent. L’été est derrière nous, le soleil se couche de plus en plus tôt, les soirées deviennent plus calmes, l’odeur de la pluie enivre nos poumons, les arbres commencent à se défaire de leurs feuilles pour créer un tapis marron sur nos sols. L’automne emmène dans une forme de tristesse qui fait la transition entre la joie des vacances d’été et les fêtes de fin d’années auprès d’un feu de bois.

J’insiste sur cette période automnale tant l’expérience d’écoute est importante pour un album comme celui-ci. Chaque album a son moment, ce n’est pas un album à écouter pendant les belles après-midi ensoleillées d’été ou à la bonne humeur printanière. Ceux qui connaissent l’album sauront où je veux en venir. Posez-vous tranquillement dans votre canapé, et ne faites rien d’autres que vous laissez enivrer dans la tristesse de cet album. Mais attention, ne soyez pas non plus trop déprimé à l’écoute, ça peut être dangereux, à tel point de vous mettre le cafard et de vous plonger dans un état de déprime dont il est difficile de sortir. 


« Le génie mélancolique de Kno au service de la mort »

Death Is Silent est sans aucun doute l’album le plus sombre et triste qu’il m’est été donné d’écouter, et en effet, il s’agit d’un album concept sur la mort comme son nom l’indique. La mort est définitivement silencieuse quand Kno s’en empare, toute joie, toute gaîté, tout espoir sont anéantis, réduit à néant pour sombrer lentement dans la tristesse et la mélancolie.

Comme on le sait, Kno a une tendance très mélancolique, le thème concept ne va pas arranger les choses, et il va même ajouter de la tristesse. Chacun des morceaux s’empare d’un thème lié à la mort avec les émotions qui vont avec. L’introduction met directement dans l’ambiance avec une production sinistre composé d’une batterie incessante et d’un bruit de cloche sourd, accompagné de voix lointaines murmurées et résonantes, et des pleures sur la fin du morceau. Une atmosphère d’église qui annonce le début d’un enterrement.

Tout au long de l’album, la production glace sur place. Une ambiance incroyablement sombre, triste et maussade règne sur cet album, qui a la capacité de faire fondre les plus insensibles et froids d’entre nous. L’ensemble s’accompagne de voix étranges et des refrains chantés lyriques qui viennent s’entremêler dans les productions pour ne pas arranger l’ambiance sinistre, à l’image du refrain de La Petite Mort ou de Rhythm of The Rain. Kno utilise des rythmes lents et mélodieux, avec une tendance calme et lancinante, et une belle utilisation de corde. Comme à son habitude, il puise son inspiration à la fois dans le Rock et dans le Folk, mais pour cet album, on retrouve l’obscurité d’un Mobb Deep et d’un DJ Muggs réunit, sans le côté agressif et tout en apportant beaucoup de mélodie et de mélancolie digne des chants lyriques.


« Un thème sombre pour une avalanche d’émotions noires »

Bien que Kno ne rappe que très peu avec les Cunninlynguists, il démontre ici qu’il est largement capable à la fois d’écrire mais aussi d’assurer au micro. Lyricalement, en plus d’être triste et mélancolique, il inclut des schémas de rimes insoupçonnés avec des double sens et des métaphores. En réalité, je ne suis pas certain que Kno est tout écris lui-même, mais ce n’est pas forcément ce qu’on attend de lui, et les lyrics sont très qualitatives et restent profondément ancrées dans le thème. Alors qu’il narre la mort de son grand-père sur If You Cry, il décrit sa propre fin d’une manière imagée sur I Wish I Was Dead, accompagné de Tonedeff. Spread Your Wings revient sur son expérience de l’avortement. Dans cette noirceur profonde, l’album conclue malgré tout sur une note un peu plus optimiste avec Not At The End avant de philosopher sur la signification même de la mort et de l’importance de la mort dans l’existence sur la note finale, The New Day.

Je ne vais pas décrire en détail le contenu de chacun des titres, les titres des morceaux se suffisent presque à eux-mêmes, et même lorsqu’on a l’impression d’entrapercevoir un rayon de bonne humeur avec Smile (They Brought Your Coffin In), la seconde partie du titre nous laisse entendre qu’il ne faut finalement pas trop sourire, même s’il suggère que la mort est une délivrance. Avec sa production psychédélique et effrayante, cette interlude à la voix chantée profonde honore le génie machiavélique de Kno à la production. Graveyard avec son ambiance presque entrainante et joyeuse est d’autant plus démoniaque quand on écoute les paroles.


« Une interprétation qui s’empare difficilement de la profondeur musicale de Kno »

En tant que producteur, il se fait naturellement accompagner pour cet album, avec une participation de ses compères de Cunninlynguists, Deacon The Villain et Natti, en plus des collaborateurs récurrents du groupe, Tonedeff et Tunji. Les rappeurs font tous un très bon travail avec des flow calmes et limpides, qui se fondent à peu près bien dans les rythmes lents. Les voix graves et rocailleuses viennent donner un contraste intéressant en apportant de la dureté. Le travail d’écriture est remarquable et est sans doute, avec la production, la plus grande force de l’album.

Pourtant, Kno a cette habilité à créer des productions qui pourraient presque se suffire à elle-même, un album instrumental aurait probablement très bien fonctionné aussi. Kno lui-même et ses invités ne parviennent que partiellement à s’emparer de la profondeur musicale créée par le producteur dans l’interprétation, le rap se plie difficilement à l’exercice, même s’ils réussissent, avec la beauté des textes, à rendre hommage à cette triste mélancolie. Il manque définitivement un petit quelque chose dans l’interprétation des rappeurs, sans doute de la tristesse et de l’émotion. Les chants plaintifs à la voix émouvante sont suffisamment poignants pour, en partie, corriger cette imperfection.


Un album à l’obscure tragédie quand on sait qu’il est passé inaperçu auprès du public. Kno réalise un album qui pétrifie son auditeur et le berce dans une mélancolie profonde, un album qu’il avait probablement besoin d’écrire personnellement. Il faut être accroché pour écouter cet album, je vous aurai prévenu. La noirceur de cet opus ne peut laisser personne de marbre.

Par Grégoire Zasa


Sur le même sujet

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s