L’explosion mainstream de Cam’Ron

L’explosion mainstream de Cam’Ron

« Come Home With Me », la visite des rues d’Harlem

Diplomats / Roc-A-Fella / Def Jam, 2002

« Les nouveaux représentants d’Harlem »

Les rappeurs originaire de l’ile de Manhattan n’ont jamais pullulé dans l’histoire du Hip Hop. En tant que centre financier et arrondissement plutôt riche de la ville de New York, la scène Hip Hop ne s’est jamais vraiment développé. Le Bronx, le Queens et Brooklyn ont été des arrondissements bien plus fertiles pour le rap. Pourtant, un quartier au Nord de Manhattan à forte population afro-américaine, à la frontière Sud du Bronx, Harlem a connu quelques rappeurs au cours de son histoire, tout en étant toujours en retrait par rapport à ses trois autres concurrents plus précaires.

Le groupe de Jazz Hip Hop, The Last Poets, qui s’est illustré parmi les précurseurs pour bâtir le début des fondations du Hip Hop, est pourtant originaire d’Harlem. Kurtis Blow, Spoonie G et le duo Rob Base and DJ E-Z Rock font également figure d’exception sur les années 80. La légende défunte, Big L, est un autre grand représentant à clamer son appartenance au quartier, bien qu’il soit membre du collectif établi dans le Bronx, les D.I.T.C.. Avec son fondateur Puff Daddy, Bad Boy Records s’établit partiellement à Harlem, pourtant à l’exception de Mase, aucun membre du roster n’est véritablement originaire du quartier. En dehors de ces quelques exceptions, la scène Hip Hop de Harlem n’est pas la plus prolifique et aucun collectif vraiment identifiable ne se démarque.


« Le coup de pouce de Roc-A-Fella »

Pourtant, un nouveau collectif va apparaitre dans ce quartier à la fin des années 2000. Le jeune rappeur Cam’Ron, accompagné de Jim Jones, va fonder le collectif des Diplomats, qui sera rejoint un peu plus tard par Juelz Santana et quelques autres rappeurs. Harlem peut se vanter de voir naître son premier groupe, ou collectif, Hip Hop. Cam’Ron se fait déjà remarqué avec ses premières réalisations, Confetssions Of Fire en 1998 et S.D.E. en 2000, qui sont plutôt qualitatives et font des chiffres honorables. Pourtant, c’est uniquement lors de son rapprochement avec Jay-Z au début des années 2000 que le groupe perce concrètement sur la scène Hip Hop grâce à sa signature sur Roc-A-Fella, qui lui permet également de fonder Diplomats Records. Harlem n’est-il finalement qu’une filiale dépendante de sa grande sœur Brooklyn ? C’est en tout cas seulement après son rapprochement de Def Jam et Roc-A-Fella que le groupe explosera réellement sur la scène mainstream. Harlem ne peut se vanter d’avoir une vraie identité, bien qu’il ait des représentants à succès et une place dans le Hip Hop des années 2000.

Avec l’appui de Def Jam, le troisième album de Cam’Ron prendra une nouvelle direction. La patte de Cam’Ron est toujours là, il fait profiter son crew originel avec des participations nombreuses sur l’album, notamment Jim Jones et Juelz Santana. Mais la direction artistique est assurée par ses nouveaux patrons, Jay-Z et Damon Dash, les productions par son nouveau roster, Just Blaze, Kanye West ou Ty Fyffe, en plus de quelques participations de Beanie Sigel et Memphis Bleek sur un titre. Si ce n’est pas les seuls facteurs de succès de l’album, c’est un coup de pouce qu’on ne peut nier. 


« Cam’Ron effacé parmi les featurings et les beats »

Cam’Ron est un bon rappeur, avec une tonalité qui tend vers les graves et un flow plutôt lent. S’il peut présenter quelques élans de charisme au micro, ses lyrics sont plutôt bonnes sans pour autant être les plus fines du rap game. Son manque de versatilité approche la monotonie, il est agréable à écouter, on hoche la tête, mais on ne retrouve pas de sursauts qui font décoller de sa chaise. Il se fait d’ailleurs régulièrement surpasser par les nombreux invités de l’album, notamment Juelz Santana et Jim Jones qui semblent être plus charismatiques. La voix rauque de Jim Jones et le flow plus versatile de Juelz Santana, qui sont omniprésents, apportent des variations très bienvenues, sans compter l’apparition de Jay-Z sur l’hymne Welcome To New York City. En réalité, Cam’Ron n’apparait seul que sur deux morceaux, on peut se demander s’il s’en serait aussi bien sorti sans ses compères, ou même s’il ne s’agit pas d’un premier album déguisé des Dipset/Diplomats.

Les productions de l’album permettent au rappeur de Harlem de s’en sortir, il a juste besoin d’apposer son flow calmement pour briller. Il s’en sort très honorablement, mais les beats font une partie du travail à sa place. Les producteurs lui confectionnent des rythmes street au tempo globalement lent, avec une atmosphère qui oscille entre douceur, Oh Boy ou Hey Ma, et dureté, Losing Weight Pt. 2 ou Boy Boy. Les titres fonctionnent bien et l’ambiance provoque un groove à l’esthétique plutôt unique, qui se fond très bien avec le flow de Cam’Ron, tout en étant très accessible.


« L’efficacité des samples Soul pour des histoires street »

Killa Kam puise son inspiration dans plusieurs de ses prédécesseurs, à commencer par la reprise de Ambitionz Az A Ridah de 2pac au côté de l’auteur initial du beat Daz Dillinger. Si le morceau est correct, la reprise ne présente pas un très grand intérêt. Le sample de Ice de Ghostface Killah sur le titre éponyme est un autre exemple. L’inspiration est naturelle, le but est néanmoins d’apporter quelque chose au morceau initial ou à minima de se le réapproprier. Le sample de Day Dreaming d’Aretha Franklyn, typique du Soul sampling de Kanye à cette époque, est quant à lui très réussi avec la voix grave de Cam’Ron qui s’intègre bien dans le rythme doux de la chanteuse Soul. D’ailleurs, les morceaux aux samples Soul/Funk sont ceux qui ressortent le mieux, à l’image des deux singles, Hey Ma qui sample Easy des Commodres ou Oh Boy qui reprend I’m Gown Down de Rose Royce. L’échantillon remanié des quelques notes de synthétiseurs de Love Me in a Special Way du groupe de R&B DeBarge sur Tomorrow conclue l’album sur une note douce.

Les thèmes abordés sur l’album n’ont rien d’original, mais en tant que thèmes très récurrents dans le rap, on peut difficilement lui en vouloir. Les histoires de drogue, si courantes à Harlem, les témoignages d’affrontements de quartier, ou les récits sur les femmes sont teintés de jeux de mot avec une forme d’arrogance et d’ironie. Mais Cam’Ron ne va jamais trop loin, il s’arrête aux frontières du correct pour s’assurer un succès commercial si attendu. Son flow calme se prête à la réflexion mais les histoires manquent de fantaisie et de piquant, et fonctionnent bien grâce aux productions soulful douces qui l’accompagnent.


Après le succès relatif de ses deux premiers albums, Cam’Ron ne pouvait pas se louper une nouvelle fois. Il a su s’entourer d’une bonne équipe pour briller et obtenir le succès qu’il méritait, et sans être parfait le résultat est à la hauteur des attentes. Si le succès commercial lui a permis d’obtenir la confiance des acteurs du Hip Hop, il a pu par la suite s’exprimer plus personnellement sur le plan musical, avec les Diplomats sur Diplomatic Immunity en 2003 ou seul sur Puprle Haze en 2004, sans pour autant approcher le succès de cet opus.

Come Home With Me présente une esthétique attrayante à la fois street et douce qui convient au flow limpide de Cam’Ron, tout en ayant des hits dont tout le monde se souvient aujourd’hui. L’album marque l’empreinte des Diplomats dans le Hip Hop pour un run, qui bien qu’éphémère, reste notable dans l’histoire.

Par Grégoire Zasa


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