La fausse promesse introspective de Nas

La fausse promesse introspective de Nas

« I Am », le récit autobiographique qui se perd dans sa volonté commerciale

Columbia, 1999

« La promesse d’un retour introspectif »

Après Illmatic et It Was Written, Nas est devenu un acteur incontournable dans le paysage Hip Hop de la deuxième moitié des années 90. Même avant son premier album, les attentes des fans et des acteurs Hip Hop étaient très grandes, Nas devait être le prochain Rakim. Il est facile d’être déçu lorsque les attentes sont si grandes, pourtant Nas a bien été la promesse qu’il était, notamment en terme d’écriture. Et il a en plus réussi à confirmer avec son deuxième album en 1996.

Forcément, les attentes étaient encore plus grandes lorsque ce troisième album fut annoncé. Nas avait prévu de sortir un double album introspectif, d’où le titre I Am… The Autobiography. Le projet était une nouvelle fois prometteur, la plume de Nas lui aurait aisément permis de briller à cet exercice, notamment à ce stade de sa carrière. Nous aurions pu découvrir les nombreuses facettes de la personnalité de Nas sous son propre angle de vue, Nas, Nasir Jones, Nas Escobar, Nasty Nas et peut être même les débuts de Nastradamus. Malheureusement, l’album a fuité en 1998, obligeant subitement Nas à revoir son contenu. Le contenu original de l’album n’est pas connu avec exactitude, mais certains morceaux leakés vont se retrouver sur son album suivant sorti la même année, Nastradamus, et sur la compilation de 2002 The Lost Tapes, alors que certains d’entre eux seront simplement abandonnés. Quelques morceaux seront quant à eux conservés sur I Am…. Album qui n’est finalement plus vraiment une autobiographie et qui a perdu la seconde moitié de son titre original.


« Un concept exploité que très partiellement »

Les fuites sont vraiment un fléau pour la musique, il est difficile de dire si l’album aurait été fondamentalement différent, notamment dans la musicalité. Le problème sur I Am… c’est que nous avons un début d’album introspectif, mais Nas ne va pas vraiment jusqu’au bout de son concept, il n’est exploité que très partiellement. Nous avons sa vision de la vie sur divers sujets comme la politique, le racisme, la religion ou encore le Hip Hop, mais nous n’avons pas beaucoup de contenu sur sa vie en elle-même, son vécu, son ressenti, ses émotions, ses envies, ses craintes, ses peurs, ses angoisses, etc. Nas nous a montré qu’il savait être le reporter de la rue sur Illmatic, ce qu’il pouvait observer dans les rues sombres du Queens avec des lyrics à la fois crues, subtiles et perspicaces. L’aspect émotif a pratiquement disparu, il n’est plus vraiment dans les rues du Queens et ça se ressent. 

Heureusement, les talents d’écriture de Nas demeurent intactes, il n’a pas perdu sa plume et il appose sur certains morceaux des lyrics toujours habiles avec une plume pertinentes et percutantes, mais sur des sujets parfois ennuyeux. Mais le rappeur du Queens était auparavant plus brut et cru, il est plus honnête ici, notamment à propos de lui-même, Small World est un bel exemple, mais pas suffisamment par rapport au projet qu’il entreprend. L’album manque cruellement de contenu et de substance. I Am n’est pas aussi autobiographique qu’il prétend l’être et c’est dommage.


« Une volonté commerciale qui ne rend pas hommage à son talent lyrical »

La direction artistique entreprit sur I Am… est sans aucun doute le plus gros défaut de l’album. Nas se perd dans une volonté commerciale qui ne rend que difficilement hommage à son talent lyrical. Les réflexions de Nas peuvent être pertinentes, ses propos politiques sur I Want to Talk to You sont intéressants dans les couplets jusqu’à ce qu’on arrive sur le refrain chantonné, qui est simplement ridicule et sans aucune profondeur. K-I-SS-I-N-G suit cette même logique, une introspection pertinente sur les difficultés de la vie à deux mais le refrain est une nouvelle fois sans intérêt et très orienté commercialement. We Will Survive est un bel hommage sincère aux deux grands défunts du Hip Hop, 2pac et Notorious B.I.G, mais quel est l’objectif d’ajouter ce refrain racoleur. Sur Money Is My Bitch, Nas se perd dans le sujet pertinent du consumérisme en le rendant vulgaire, on doit attendre plus de consistance de la part de Nas. Si je loue ses qualités de rappeur, ses qualités de chanteur sont loin d’être des plus convaincantes. Hate Me Now est l’apothéose de cette volonté commerciale, sur une production dramatique des Trackmasters, Nas s’en sort plutôt bien, une énième fois jusqu’à ce refrain…

Si une partie de l’album présente que peu d’intérêt musicalement ou lyricalement, Nas se rattrape plus ou moins sur d’autres morceaux. Sa capacité de reporter lui permet de briller en tant que rappeur avec des textes descriptifs très bien écris et poétiques. Il sait toujours raconter des histoires fascinantes avec des rimes habiles sur la vie et le ghetto, quand il veut, notamment sur Nas Is Like et N.Y. State of Mind, Pt.2, qui sont indéniablement les meilleurs titres de I Am…. Undying Love provoque de véritables sensations avec un autoportrait ensorcelant, le seul morceau véritablement introspectif de l’album. De son côté, Ghetto Prisonners fait indéniablement réfléchir sur la raison de notre existence et sur l’intérêt du Hip Hop.

La production est assurée partiellement par ses fidèles, Tackmasters, L.E.S. et DJ Premier, ajoutés à quelques nouveaux collaborateurs de Nas, dont Timbaland ou Dave Grease. Globalement mélodramatique, la production donne une atmosphère particulière, un côté légèrement triste et sombre, mais sans véritable cohérence pris dans son ensemble. On retrouve des identités distinctes entre singles commerciaux aux refrains pop et la dureté street de ses débuts. On se retrouve finalement bloqué dans un modèle hybride qui n’est pas convaincant sur la longueur.


Le concept autobiographique aurait pu être intéressant, surtout à ce stade de sa carrière et avec sa qualité lyricale. Malheureusement, le concept n’est pas exploité jusqu’au bout. Il prend une direction artistique critiquable avec des refrains pop de mauvaises factures entreposés à côté de morceaux bruts où il est véritable. Nas compense la médiocrité de certains titres par son acuité lyricale sans offrir la promesse introspective induite dans le titre. Si ses talents de rimeurs et de reporter de la rue sont indéniables, ici, Nas n’est pas la promesse qu’il était.

Par Grégoire Zasa


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