« The Equinox », un boom bap puissant à la fureur agressive
Priority / EMI, 1997
« La complexité lyricale incomprise d’un groupe underground devenu légendaire »
Organized Konfusion n’a jamais réussi à se faire connaître et exploser sur la scène mainstream. Pourtant, les deux lyricistes du Queens ont été acclamés par la critique pour leurs deux premiers albums, Organized Konfusion en 1991 et Stress : The Extinction Agenda en 1994. Il s’agit probablement du groupe le plus respecté sur la scène Hip Hop qui sont restés scotchés dans l’underground.
Les explications peuvent être nombreuses. Connus pour leurs rimes subtiles et complexes pleines de spiritualités, le duo est justement peut être trop complexe pour entrer dans la scène mainstream. On le sait, trop de complexité peut tuer la complexité. Il est clair que Organized Konfusion déborde d’ingéniosité dans les lyrics, sans doute le duo le plus habile dans ce domaine, mais cette ingéniosité peut éventuellement les rendre incompris d’un public non averti. Après tout, on a pas toujours envie de se prendre la tête avec des références au douzième degré qui compliquent la compréhension générale. En conséquence, Organized Konfusion réduit indéniablement son auditoire et oublie un public en quête de plus de sensations et de divertissement.



Bien-sûr, le duo offre une forme de divertissement et génère son lot de sensations, mais réservé à un public plus érudit. Le génie lyrical, et on peut définitivement parlé de génie, est sans précédent, Prince Po et Pharo font partie des paroliers les plus affutés de la scène Hip Hop, en concurrence avec leurs compères des Freestyle Fellowship sur la côte Ouest. Ils ont impressionné les auditeurs en quête de lyricisme et la scène Hip Hop avec leur dextérité et leur créativité dans le maniement des mots. Leur premier album était plein de spiritualité et de réflexions sur des airs de funk. De son côté, Stress a emmené le public dans des sonorités plus sombres et des thématiques plus nihilistes. Avec ces deux albums, Organized Konfusion a réussi à rentrer dans la légende des groupes de Hip Hop underground.
« Un album conceptuel pensé comme un film au scénario élaboré »
Pharoahe Monch et Prince Po reviennent avec un troisième essai en 1997, The Equinox. Un album qui sera encore différent des deux premiers mais toujours centré sur l’art de la poésie. The Equinox est un album conceptuel et est pensé comme un film avec un scénario élaboré. On rentre dans la peau de Malice et Life, deux jeunes adolescents du Queens. Les deux lyricistes vont nous conter les drames de la vie urbaine. Une approche qui peut paraître simple de premier abord, mais ceci est sans compter la créativité des deux artistes.
Dans ce scénario, Pharo et Prince Po vont à la fois se lamenter d’être restés dans l’underground, tout en démontrant leur supériorité lyricale par rapport à leurs concurrents en quête de succès. Question est un bon exemple, ils se questionnent mutuellement avec un jeu de questions-réponses sur les mystères du manque de succès du groupe dans l’industrie musicale. Sur des morceaux comme Soudman ou Somehow, Someway, les deux rappeurs d’échangent des rimes multi-syllabiques qui ont tout pour éblouir le public tout en se vantant de leurs talents respectifs et déclarant la guerre aux lyricistes qui ne peuvent rivaliser face à leurs ingéniosités. Numbers fait de son côté l’apologie de l’arithmétique. Sur Confrontations, le duo attaque plus directement leurs rivaux qu’ils considèrent comme des corrompus dans une bataille métaphorique.
La couverture de l’album rappelle d’ailleurs étrangement celle de Phenomenon de LL Cool J sorti à peine un mois plus tard. L’album est certes sorti après The Equinox, mais la cover de l’album de LL a peut-être été dévoilée préalablement. Je ne sais pas si un parallèle peut être fait, mais LL Cool J correspond parfaitement à la description des rappeurs attaqués par Pharo et Prince Po, d’autant plus que LL se rapproche de Puff Daddy et Bad Boy pour cet album avec quelques morceaux à vocation plus commerciale orientés R&B. Connaissant la subtilité du duo, on pourrait penser à une attaque déguisée. Il s’agit bien-sûr d’une simple théorie, la volonté d’Organized Konfusion était peut-être tout autre.
Invetro est l’un des moments forts de l’album avec Prince Po et Pharo qui font respectivement la thèse et l’antithèse de la naissance et de la vie dans un monde méprisant où ils pensent que la connaissance doit primer. Ils se mettent dans la peau de deux embryons à naître dont l’un veut une chance de vivre alors que l’autre ne veut pas connaître ce monde. La construction est ingénieuse et rappelle étrangement Stray Bullet avec cette personnification.

Pharoahe Monch, Invetro
Two Weeks before my old man busted up in her
My moms never walked slow
Now she smoke crack, sit back, and listen to talk shows
I hope she don’t eat pork fried rice tonight
See, the cholesterol already got my arteries tight
I might select even before she injects her lethal chemicals
To wrap the umbilical cords around my neck
Shit, I’m pissin’ in the abdomen
Two and a half weeks old, already thoughts of stabbin’ men
Unravelin’ plots and plans for thievin’ and shit
Immune to the gospel, not believin’ in shit
Where the fuck do I go from here
Cuz when the afterbirth disperse it’s hard to persevere
I swear I can’t fuck with it
She hits about two packs of cigarettes a day and I’m stuck with it
The asthmatic, internally scarred from crack addicts
Who share needles outside in the rain on Craftmatics
Prince Po, Invetro
Two Weeks before my old man busted up in her
My moms never walked slow
Now she smoke crack, sit back, and listen to talk shows
I hope she don’t eat pork fried rice tonight
See, the cholesterol already got my arteries tight
I might select even before she injects her lethal chemicals
To wrap the umbilical cords around my neck
Shit, I’m pissin’ in the abdomen
Two and a half weeks old, already thoughts of stabbin’ men
Unravelin’ plots and plans for thievin’ and shit
Immune to the gospel, not believin’ in shit
Where the fuck do I go from here
Cuz when the afterbirth disperse it’s hard to persevere
I swear I can’t fuck with it
She hits about two packs of cigarettes a day and I’m stuck with it

« L’agressivité théâtrale teintée de fureur et de déception »
La narration de l’album est prodigieuse, les rimes sont exceptionnelles, l’alchimie entre les deux fonctionnement toujours à merveille. Pourtant, les deux artistes se perdent dans le concept de l’album. Aussi bien exécuté soit-il, il en ressort une démonstration des talents lyricales des deux prodiges où ils se lamentent d’être incompris. Il semble rester un goût amer avec une forme de déception, voir même de colère, par rapport à l’échec commercial du groupe. Des morceaux comme They Don’t Want It ou 9x out of 10 sont d’ailleurs agressifs dans le flow des rappeurs. L’interprétation est excellente et fait pleinement ressentir cette fureur, mais ils se plaignent également d’être rejetés par l’industrie musicale. Là où leur premier album était plus joyeux dans les rythmes, The Equinox semble plus énervé et agressif.

9x Out Of 10, Organized Konfusion
Nine times out of ten, a nigga wanna shine
But nobody shines brighter than the light Organized
Extra-tight, one hundred percent, drama full armor
The persona is to « Crush Kill Destroy » the bad karma that
Hums superb, lyrics emerge from the slums
Of the latest gun drug runs, fun feds and dum-dums
Priority and confidential
Organized mission is ripping any instrumental, believe that
Cette agressivité se ressent aussi dans les rythmes de l’album, notamment sur les morceaux produits par Organized Konfusion comme They Don’t Want It, 9x ou of 10 ou Hate. Contrairement à leurs précédents albums, le duo s’écarte d’autant plus de la production pour la déléguer à des producteurs reconnus, notamment les beatmakers du DITC comme Buckwild, Diamond D ou Showbiz. Rockwilder offre également le dernier morceau de l’album, Somehow, Someway, avant de conclure par l’épilogue. Cette tendance à mettre des gros noms à la production s’inscrit peut être dans une recherche de succès, ou simplement pour se concentrer sur l’aspect lyrique de l’album. Malheureusement, ce n’est pas ce qui leur permettra d’obtenir de la visibilité. Quoi qu’il en soit, les productions rentrent parfaitement dans le thème de l’album aves des rythmes typiques du boom bap des années 90. Les cordes et les cuivres offrent une ambiance en même temps pesante et vide, avec parfois une agressivité colérique et parfois un calme solennelle. Il n’y a pas de révolution musicale mais les beats restent particulièrement efficaces et bien réalisés.
« La poésie au service de la poésie »
Ils nous en mettent plein la vue, on a tout pour être éblouis par leurs prouesses théâtrales et leurs habilités dans l’art de la poésie. Cependant, cette poésie est au service de la poésie et non au service d’une réflexion plus profonde et spirituelle comme ils ont pu le faire par le passé. Les réflexions du duo sont bien-sûr intéressantes malgré tout, puisque le manque de succès du groupe peut finalement cacher des problèmes sociétaux, voir spirituels, plus profonds sur le monde qui nous entoure, et plus particulièrement sur le Hip Hop. De ce point de vue, on peut dire que c’est réussi. Mais il en ressort de la prouesse lyricale pour de la prouesse lyricale, ce qui peut devenir très rébarbatif sur la longueur. L’album reste de très grande qualité sur tous les aspects et la fureur dégagée dans l’interprétation donne de la consistance à l’album. D’un point de vue écriture, il reste bien évidemment dans les pièces maitresses du Hip Hop underground.
A la suite de Equinox, le groupe se séparera. La raison de cette séparation est très certainement liée à l’absence de succès commercial du groupe. Prince Po déclarera plus tard dans une interview que la séparation venait notamment d’une volonté de préserver le nom Organized Konfusion comme une légende underground, la sortie d’autres albums aurait éventuellement pu entacher cette réputation. La deuxième raison invoquée semble être lié au rôle de Prince Po dans le groupe, ayant déclaré qu’il s’occupait de tous les aspects business avec les maisons de disque, en plus de la partie artistique partagée avec Pharoahe Monch. Ce temps passé sur la partie business semblait l’empêcher de s’investir pleinement dans la partie musicale. Même si quelques tensions semblent être palpables, il n’y a à priori aucune rancœur entre les deux membres du duo. A la suite de la séparation, Pharo signera sur Rawkus pour un premier album solo dès 1999, Internal Affairs. De son côté, Prince Po fondera son propre label, Nasty Habits Entertainment, avant de se lancer également en solo avec un succès plus mitigé.