Une « Soul Food » poisseuse et mélancolique
LaFace Records, 1995
« Atlanta s’établit sur la carte du Hip Hop »
Alors que le Hip Hop était né à New York depuis déjà un petit moment, au milieu des années 90, le Sud semblait avoir eux aussi des choses à dire. Atlanta semblait s’installer tranquillement sur la carte du Hip Hop avec des groupes comme Arrested Development ou Another Bad Creation, mais rien d’encore très concret et définit par une véritable identité. Pourtant, un jeune label naissant, LaFace, commençait à s’emparer du pouvoir d’Atlanta. Dès le début des années 90, le label produisait des artistes originaire de la ville comme TLC ou Toni Braxton, même si le succès est certain, ces artistes étaient légèrement trop éloignés du Hip Hop pour que Atlanta obtienne réellement le respect de New York.
Pour s’établir dans le Hip Hop, Antonio « L.A. » Reid et Kenneth « Babyface » Edmonds, les fondateurs de LaFace, vont commencer à monter un collectif, qui deviendra la Dungeon Family, du nom du studio d’enregistrement. Avec le tube Player’s Ball de Outkast sortie sur une compilation de Noël et ensuite sur le premier album du groupe Southernplaylistcadillacmuzik en 1994, Atlanta se fait subitement remarquer et commence à attirer l’attention, notamment en gagnant un Source Awards.




Dans la foulée, la Dungeon Family se réunit une nouvelle fois avec ses producteurs in-house, Organized Noize, pour la deuxième réalisation marquante du label : Soul Food de Goodie Mob en 1995. Mené par CeeLo Green, le quatuor composé de Khujo, Big Gipp et T-Mo va suivre la voie ouverte par Outkast pour marquer le rap et confirmer le statut d’Atlanta comme une ville du Hip Hop. Même si la production est toujours dans les mains d’Organized Noize, Goodie Mob se démarquera avec un style beaucoup plus spirituel et sombre que leurs compères d’Outkast, qui avaient, eux, un style plus léger et funky sur leur première réalisation.


Les Goodie Mob vont s’illustrer dans un style plus street, ils s’imprègnent de leur vision de la rue pour en faire une poésie spirituelle avec une représentation à la fois véritable et sincère. Les rimes sont au service de la beauté et les mots au service de la réflexion. L’ensemble porte une conscience sociale sur une base de spiritualité avec la conviction que la religion a pu être la bénédiction salutaire des noirs opprimés. Ils tissent des histoires d’amour, de mélancolie, de tristesse sans tomber dans le sensationnalisme, pourtant ils provoquent des émotions avec des rimes grinçantes et crues. Il y a à la fois un côté brute et poétique, street-wise et spirituel, conscient et personel.
« Des beats poisseux à l’ambiance dangereusement Soul »
La production d’Organized Noize suit cette logique. Il y a quelque chose de New Yorkais dans les beats, un côté légèrement poisseux avec des rythmes Soul, pourtant ils génèrent malgré tout une sensation entrainante tout en étant légèrement mélancolique. Le chant de l’introduction Free met directement dans cette atmosphère presque triste avec quelques notes douces sans rythme de batterie. Thought Process suit avec cette mélancolie mais le rythme de batterie claquant donne une accroche fluide avec des rimes philosophiques sur la vie quotidienne dans les ghetto qui se dressent comme une menace à la fois pour leurs propres survies mais aussi pour la population noire dans sa globalité.
Dirty South revient sur des histoires de la rue dans la ville du « Dirty South » sur des trafics de drogue. Il n’y a pas vraiment de thèmes mais plutôt une description des différentes vision du Sud, sur une basse grondante et des cuivres sourds parsemés. Sur une boucle de piano souffrante, le single Cell Therapy revient sur les problèmes de la drogue avec une forme de paranoïa, le refrain communique cette inquiétude avec un chant hasardeux à la livraison hésitante.

CeeLo Green, Cell Therapy
Me and my family moved in our apartment complex
A gate with the serial code was put up next
They claim that this community is so drug free
But it don’t look that way to me ’cause I can see
The young bloods hanging out at the sto’ 24/7
Junkies looking fo’ a hit of the blow it’s powerful
Oh you know what else they tryin’ to do
Make a curfew especially for me and you
The traces of the new world order
Time is getting shorter if we don’t get prepared
People it’s gone be a slaughter
My mind won’t allow me to not be curious
My folk don’t understand so they don’t take it serious
But every now and then
I wonder if the gate was put up to keep crime out or to keep our ass in
Sesame Street s’attarde sur l’enfance dans les ghetto avec des histoires sur la rue, ils se remémorent des souvenirs qui prouvent la dégradation constante de la société sur une boucle inquiétante et un rythme menaçant. La mélancolie dramatique de Guess Who rend un bel hommage aux mères et leurs places dans la société, ils y intègrent des expériences personnelles pleines d’émotion et de sincérité sur le rôle de leurs mères dans la construction de leurs valeurs morales. La chanson éponyme est plus optimiste avec une ode aux pouvoirs spirituels de la musique et l’énergie vitale qu’elle peut procurer avec des métaphores sur la soul-food. L’outro gospel, The Day After, est sans doute l’émoi le plus spirituel de l’album avec un retour sur la terreur et la douleur que peut provoquer le monde.
Si Cee-Lo, avec sa voix rauque et puissante, a fini par devenir le leader de facto de Goodie Mob, les sons de basse profonde de Gipp, l’énergie expansive de T-Mo et la voix bourrue de Khujo font aussi le charme du quatuor. Chacun se complète et apporte à sa manière. La production d’Organized Noize reflète la vision pessimiste et difficile que le groupe porte sur le monde avec une sorte de Soul angoissée et sinistre.
Soul Food rappelle les rues poussiéreuses tout en y intégrant les angoisses, les croyances religieuses, les vécus, les convictions des auteurs. Goodie Mob dresse une vision des ghettos avec un aperçu de ce qu’ils vivent. Ils incarnent et personnifient les rues crasseuses d’Atlanta pour se soulever contre la suprématie blanche, notamment sur Fighting qui revient sur les dommages psychologiques subit lors de la lutte contre la pauvreté et les institutions. La puanteur du ghetto coule dans leurs veines. Le groupe se bat contre les maux de la société avec une sincérité émouvante et un flux de conscience sociétale et spirituel éprouvant.
Super travail bravo et force à toi pour la suite c’est excellent vraiment
Soul food un classic que j’ai depuis l’âge de 16 ans.
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Merci à toi pour le soutien ! Ça fait plaisir !
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