Elektra, 2001
Depuis ses débuts chez Death Row au début des années 90, Nate Dogg a souvent été l’homme à refrain du label. Malheureusement, le crooner n’avait pas le droit à son propre album au sein de la maison bien qu’il ait enregistré plusieurs titres. Après son départ, une bataille a commencé avec sa maison de disque pour sortir l’album qui était prévu originellement pour 1994/1995 avec les titres qu’il avait enregistré. Il a finalement réussi à sortir G-Funk Classics Vol. 1 et 2, dont le premier volume a été enregistré chez Death Row et le volume 2 après son départ, chez Breakaway en 1998 après avoir récupéré les droits. Cependant, l’ère du G-Funk était presque révolue et les chansons plus dans l’air du temps, en conséquence l’album fut un échec commercial.
Nate Dogg a ensuite enchainé les refrains pour d’autres artistes Hip Hop notamment Dr. Dre, Snoop Dogg, DJ Quik, Ludacris, Fabolous, pour citer les plus connus. Sa réputation de hook maker est bien établie et sa capacité à propulser les singles en haut des charts est certaine. Nate Dogg a un talent inné de chanteur, une voix barytone et monocorde séduisante. Après tous ses refrains, Nate Dogg est-il capable d’être aussi convaincant sur un album solo pour le monde du Hip Hop ? Son premier double album l’avait déjà prouvé, ses sonorités G-Funk avaient séduit les amateurs du sous-genre tout en le faisant revivre.



Avec Music & Me, Nate va explorer de nouvelles sonorités, la domination du G-Funk est révolue et il en a conscience. La capacité d’un artiste à prospérer est intimement liée à sa capacité à se renouveler habilement, bien que la conséquence puisse être la déception des fans de la première heure. Les artistes qui s’enferment dans un sous-genre se voient critiquer par les fans d’un manque de polyvalence, ou de proposer toujours la même chose, avec une baisse de qualité crescendo presque inévitable au fil des albums. On a tendance à attendre les artistes sur ce qu’on a l’habitude d’entendre, mais on aime aussi qu’il nous surprenne en nous emmenant sur de nouveaux terrains, tant que la qualité suit.
A l’exception de quelques featurings, Nate nous avait fortement habitué au G-Funk. Music & Me sera beaucoup plus R&B, toujours avec quelques sonorités funk et des lyrics toujours aussi gangsta/pimp. Le crooner surprend dans les sonorités de l’album tout en faisant ce qu’il sait faire, nous envouter avec sa voix mielleuse pour nous sortir ses insanités. Derrière sa voix magique, il est le plus gros macho gangsta de la planète. Les thèmes habituels sont présents, mais la palette sonore a subtilement changé.
Entendre Nate sur un album solo peut paraitre déroutant, comme si on attendait constamment le moment où le rappeur arrive avec ses couplets. En réalité, même sur G-Funk Classics, très peu de morceaux font apparaitre Nate Dogg en solo, sept sur les trente-et-une chansons présentes. Sur Music & Me, la proportion de morceaux en solo est bien plus importantes. Peut-il être crédible en tant qu’artiste rap en solo ? La réponse est oui et non. Bien-sûr, Nate Dogg ne rappe pas, en conséquence il est difficile de le qualifier de rappeur, pour autant, ça ne l’empêche d’être largement crédible auprès d’un public rap avec ses couplets chantés. Pourtant, la légende dit que Nate est un excellent rappeur, mais qu’il s’interdit de rapper pour conserver son image de crooner. Vrai ou non, son chant n’en reste pas moins envoutant.


D’ailleurs, les artistes invités apportent une touche rap bienvenue, mais elles sonnent comme des contributions presque dues, tous sont des rappeurs auxquels Nate a offert un refrain sur un single. Bien-sûr, elles sont toutes de bonne facture et les morceaux avec des invités restent très réussis, pourtant les titres les plus convaincants sont à mon sens les solo du chanteur. I Got Love, Backdoor, Concrete Streets et Music & Me font parties des meilleures pistes de album. Si on attend Nate uniquement au refrain, on est pas un vrai fan de Nate.
Le titre de l’album peut laisser penser à un album introspectif, il y a quelques passages qui s’en rapprochent où Nate est véritable et parle de lui-même. Pour autant, on ne peut pas parler d’un album introspectif en tant que tel, et c’est dommage. J’aurai aimé un album totalement introspectif avec Nate en solo sur tous les morceaux, ou presque. Et lorsqu’on voit la qualité des morceaux solo, c’est d’autant plus frustrant.
Si on revient plus en profondeur sur l’album, Nate est toujours égal à lui-même. Alors qu’on pourrait penser à une chanson d’amour avec I Got Love, on se s’aperçoit rapidement que son amour est en réalité tourné vers le ghetto et ses « homies », est-il ne serait-ce que capable d’aimer une femme ? Au vue de la durée de ses deux mariages, c’est difficile à dire, mais on est pas ici pour juger ses sentiments. La construction de I Got Love est incroyable, repris de I Believe to My Soul de Donny Hathaway, le riff de piano couplé avec les coups de saxophone et de caisse claire offre un magnifique rythme R&B au crooner. Est-ce Nate qui suit la musique ou la musique qui est mixé pour Nate ? Probablement un peu des deux, mais l’interprétation de Nate est frémissante avec ce changement de voix et de tonalité.
Backdoor est sur un rythme beaucoup plus lent et mélodieux pour une chanson romantique à la Nate Dogg. Fortement attiré par la gente féminine, le crooner veut s’inviter chez les femmes seules en passant par la porte de derrière. Dans la même idée, le crooner nous fait part d’une belle poésie aussi provoquante qu’ironique sur un beat avec une batterie martelante et quelques notes de piano de Dr. Dre avec Your Wife. Cette thématique se répète sur Another Short Story où Nate confesse sa difficulté à s’attacher aux femmes, une nouvelle histoire courte et triste sur une production douce de Mike City.
Beaucoup plus gangsta sur Keep It Gangsta avec Xzibit et Lil Mo pour deux couplets chantés des deux crooners avant que Xzibit prenne le relais sur une production surprenante et rugueuse de Megahertz, mais non moins efficace. Toujours par Megahertz, le beat de Can’t Nobody est tout aussi étrange, avec Nate qui est presque l’invité au côté de Kurupt. Sans le magnifique bridge de Nate et les deux couplets aiguisés du rappeur de Dogg Pound, la chanson serait pour moi un skip, la moins convaincante de l’album. Sur une production alarmante de Bink, le crooner reprend son rôle de pimp avec son compère d’Area Codes, Ludacris. Les couplets et refrains de Nate Dogg ne sont pas les plus probants, légèrement plus rythmés qu’habituellement, Ludacris apporte sa versatilité habituelle et ses punchlines fracassantes. Le morceau fonctionne mais le beat est grinçant. Mel-Man apporte l’un des meilleurs beats de l’album avec une forme de dramaturgie sur I Pledge Alligiance avec un couplet monumental de Pharoahe Monch pour un récit de déclaration de guerre aux haters.
Jermaine Dupri donne une touche plus festive avec Your Woman Has Just Been Sighted pour un morceau typique de So So Def avec des paroles plus clubeuse. Le refrain reprend librement Ring The Alarm de Naughty By Nature sorti sur 19 Naughty Nine: Nature’s Fury. Nate se réunit avec Snoop Dogg et les Eastsidaz pour le morceau le plus G-Funk de l’album avec Fredwreck pour des paroles amusantes et pleines d’ironie toujours centré autour de la gente féminine.
Légèrement plus introspectif sur Music & Me, Nate Dogg dévoile avec un magnifique chant son amour pour la musique, et l’herbe au passage, sur une production oscillant entre le funk et la soul de Damizza. Dans le même esprit, Concrete Streets présente un ego-trip où Nate présente probablement ses meilleurs couplets chantés de l’album avec sa voix suave sur un beat de Battlecat.
Même si les lyrics ne sont pas les plus fines avec une légère redondance dans les thèmes, Nate sait toujours nous envouter avec sa voix monocorde douce et moelleuse. La diversité offerte dans les productions est parfois déroutante et certains titres peuvent paraitre légèrement en décalage avec le reste, mêmes si tous parviennent à séduire d’une manière ou d’une autre. Finalement, les meilleurs titres sont ceux où Nate est seul avec un mélange à la fois funk et soul pour une mélodie douce et chaleureuse sans être fondamentalement G-Funk pour autant.