Daily Operation, Gang Starr

Daily Operation, Gang Starr

Chrysalis, 1992

Il y a certains albums qui paraissent tellement parfaits et intouchables que finalement les mots ne viennent pas lorsqu’on veut en parler. Daily Operation fait définitivement parti de cette catégorie. Cet album a perfectionné la recette de Gang Starr et a propulsé le duo au sommet de la scène des groupes de rap hardcore de New York. Mais pourtant il peut être difficile d’expliquer pourquoi, même si les raisons peuvent être nombreuses, il faut mettre les mots dessus. C’est ce qu’on va essayer de faire ici. 

On ne présente plus Gang Starr, le duo composé de DJ Premier, producteur originaire du Texas et l’un des pionniers du jazz-rap, et Guru, rappeur aux lyrics affutées originaire du Massachussetts, est rentré dans la légende à de multiples reprises depuis leur rencontre à la fin des années 80. Même si les membres du groupe ne sont pas de New York, c’est à Brooklyn qu’ils s’établissent pour proposer un boom bap claquant avec un style dont ils sont les seuls à avoir la recette.

L’exercice du deuxième album devient subitement plus compliqué lorsque certains groupes démarrent sur les chapeaux de roues avec un premier album très acclamé. De son côté, Gang Starr devra attendre le troisième album pour entrer concrètement dans la légende. Le duo de Brooklyn s’était déjà fait remarquer avec No More Mr. Nice Guy et Step In The Arena, deux albums déjà excellents, mais c’est bien avec Daily Operation qu’ils parviendront à ce statut. Gang Starr semble se perfectionner et se bonifier avec le temps. 

S’ils font partie des groupes qui ont inventé le jazz-rap avec A Tribe Called Quest et quelques autres, ils seront les premiers à le rendre aussi brut et primitif. En fait, les boucles de Primo sont grinçantes et hardcore, les batteries claquent la nuque pour nous briser les vertèbres, et les boucles de jazz sont grognantes. Les petits scratches des refrains remplacement les accroches mélodiques pour un boom bap pur et dur. Les beats sont aussi abrasifs et rugueux que de la roche, principalement grâce aux batteries et aux scratches. Les boucles de piano et saxophones minimalistes viennent apporter une sorte de fausse mélodie brute qui vient lisser l’ensemble pour nous faire ressentir à la fois l’atmosphère sinistre de New York et l’ambiance sale des jazz-café de la prohibition.

I’m The Man est sans doute l’une compositions les plus habiles et complexes du producteur. Primo offre un rythme unique à chaque rappeur présent, Guru, Jeru The Damaja et Lil Drap de Group Home, avec un breakbeat différent entre chaque couplet, faisant de lui l’un des précurseurs du switch beat. Chacun des rappeurs a son propre terrain de jeu pour s’exprimer dans une battle royale. Ex To The Next Girl et sa boucle de piano à trois notes accompagnée de la ligne de basse diabolique laisse toute la place à Guru pour exprimer son talent de MC.

Gang Starr, c’est la parfaite symbiose entre le producteur et le emcee, une harmonie que peu de duo de rappeur/producteur ont réussi à obtenir, si elle est plutôt évidente chez Rakim & Eric B. ou Pete Rock & CL Smooth, elle l’est moins chez Kool G Rap & DJ Polo par exemple. Alors que les beats sont à la fois jazzy et irritants, ils sont parfaits pour la voix barytone et monotone de Guru. Son flow est suffisamment lisse et calme pour compenser la rugosité des beats. Mais même lorsque Guru est en colère, il est toujours d’un calme olympien, tellement calme et posé qu’il en est déstabilisant et inquiétant de vengeance. Sa colère en devient encore plus menaçante comme sur Take It Personal.

Take it Personal, Guru

I never thought that you would crab me
Undermine me, and backstab me
But I can see clearly now the rain is gone
The pain is gone but what you did was still wrong
There was a few times I needed your support
But you tried to play me like an indoor sport
Like racquetball, tennis, fool, whatever
All I know is you attempted to be clever
Nevertheless, cleverness can’t impress
Cause now you’ve been expose like a person undressed
Cause I see through you, I’m the Guru
Now what you gonna do when I step to you
And when I pay you back I’ll be hurting you
This ain’t no threat so take it personal

Guru est un parolier intelligent et profond. The Place We Dwell est un hymne aux rues de New York où il se dresse en parfait guide touristique sur un sample de batterie simpliste et rugueux. Plus mélodique, No Shame In My Game présente une boucle jazzy luxuriante pour un ego trip plein de vantardise de Guru. 

Ses talents de storyteller se reflètent sur Soliloquy of Chaos avec une narration sur la mort d’une personne lors d’un de leur concert. Plus autobiographique et personnel sur 2 Deep, Guru confesse ses croyances religieuses et éthiques qui l’ont mené vers une connaissance de lui-même plus éclairée et approfondie. Sur Conspiracy, il livre sans doute ses meilleurs couplets avec une dénonciation où il évoque une conspiration autour du Hip Hop menant à la corruption de cette dernière. Guru donne matière à réflexion.

Le plus déconcertant quand on écoute Guru et DJ Premier, c’est que tout semble facile. Les rimes de Guru glisse tranquillement comme de l’eau dans un ruisseau sur les beats de Primo. Et son flow est si naturel qu’il parait facile de le reproduire, de la même manière que les beats sont si élémentaires qu’on pourrait penser qu’il suffit de modifier les quelques notes de jazz pour que ça fonctionne aussi bien. Pourtant, ces notes de jazz sont parfaitement collées sur le beat et magiquement interrompus par les scratches pour un boom bap redoutable et frémissant.

Ce boom bap rugueux et hardcore sera repris un peu plus tard par une génération de rappeurs comme le Wu-Tang Clan, Fat Joe ou Mobb Deep, qui auront tendance à rendre l’atmosphère encore plus maussade et sinistre dans une ambiance gangsta tout en reprenant le flow calme et posé de Guru. D’un point vue musical, DJ Premier a rendu le boom bap plus jazz et plus dur avec Daily Operation. 

Daily Operation marquera le premier apogée de Gang Starr, la reconnaissance de la scène rap. Une recette qu’ils perfectionnent ensemble et qui prend son sens que lorsque eux-mêmes l’appliquent. Chaque beat trouve sa place sans jamais manqué sa cible, et Guru les accompagne avec magie de son flow limpide et de sa plume subtile. Daily Operation est la quintessence d’un jazz-rap brut avec des refrains scratchés sur quelques notes de jazz. Il est le premier chef d’œuvre de la carrière de Gang Starr.

Note : 5/5

 

Par Grégoire Zasa


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