4,5,6, Kool G Rap

4,5,6, Kool G Rap

Cold Chillin / Epic Street, 1995

A la fin des années 80 et début des années 90, les duo ou groupes de producteur/rappeur sont légions, il s’agit en réalité d’un schéma très classique dans le Hip Hop, mais aussi très logique avec un besoin naturel d’un MC et d’un beatmaker et/ou DJ. Dès le début des années 90, ce schéma viendra progressivement à s’estomper, et les artistes vedettes en viendront à continuer sur une carrière solo, parfois en se séparant définitivement du groupe, parfois simplement pour quelques apartés, KRS-One, MC Eiht, Guru, Rakim, Ice Cube, etc. Les raisons de ses séparations sont bien différentes et sont souvent au détriment des producteurs/DJ qui ont plus de mal à se relancer.

Kool G Rap ne fera pas exception avec DJ Polo. Dans ce cas, la contribution de DJ Polo était purement et simplement celle d’un DJ, la production était assurée par Marley Marl, Eric B. ou Kool G Rap lui-même accompagné de co-producteur.. Après un troisième album en 1992, Live and Let Die, le duo se séparera pour des raisons un peu étranges. Un nouveau groupe de Hip Hop subira la censure de sa maison de disque, plus précisément sa maison de distribution Warner Bros, qui interrompra la distribution de l’album à cause de sa cover, osons le dire, hardcore, ce qui aura pour conséquence la rupture du contrat avec Cold Chillin. Justifié ou non de la part de Warner et Cold Chillin, le débat n’est pas là et je ne souhaite pas m’attarder sur ce sujet ici, mais les conséquences seront la séparation du duo. Ce qui est amusant c’est que Kool G Rap signera un nouveau contrat solo avec Cold Chillin après que Warner ne soit plus le distributeur du label légendaire du Juice Crew. Et cet album sera d’ailleurs la dernière sortie du label avant sa disparation définitive en 1997, une page de l’histoire du Hop Hip qui se tourne.

Le destin de DJ Polo est plus flou et je reconnais n’avoir que très peu d’information sur son devenir à l’époque. A ma connaissance, il ne me semble pas l’avoir vu sur d’autres albums à la suite de cette séparation. Pour Kool G Rap, l’avenir sera plus radieux. Déjà en 1995, Nathaniel Wilson a.k.a Kool G Rap avait une réputation bien établie dans le Hip Hop et n’était pas loin du statut de légende, si ce n’était pas déjà fait. Ce premier album solo, 4,5,6 viendra confirmer ce statut, à minima sur la scène underground.

Avec ses trois premiers albums, Road To Riches, Wanted: Dead or Alive et Live and Let Die, Kool G Rap était l’un des pionniers du mafioso Rap avec un contenu street et hardcore. En fait, à la fin des années 80, le Hip Hop New Yorkais n’avait pas tendance à être violent, mais étaient plutôt afrocentré ou du rap d’entertainment, Kool G Rap faisait figure d’exception. En ce sens, il sera une très grande source d’inspiration pour la génération à venir qui aura une tendance bien plus gangsta, le Wu-Tang, et particulièrement GZA et Raekwon, Notorious BIG, Jay-Z ou encore Nas. Tous ces artistes le citent comme l’une de leur première source d’inspiration.

4,5,6 continuera dans cette lignée de mafioso rap qui a fait la réputation, et la légende, du rappeur du Queens membre du Juice Crew. Même avant d’avoir écouté l’album, on sait que Kool G Rap poursuit dans cette direction, après tout c’est son style et sans doute ce qu’il sait faire de mieux. Le titre de l’album décrit le jeu de dé fréquemment pratiqué dans les rues urbaines, appelé Cee-Lo, dont 4,5,6 est la combinaison gagnante. La cover reflète ce jeu d’argent à trois dés dans un environnement légèrement mafieux. La chanson éponyme décrit ce jeu où G Rap ventera son habilité d’une manière flamboyante et ostentatoire. 

Dans le contenu, Kool G Rap est toujours aussi hardcore, street et gangsta avec une habilité lyricale incroyable. Il est l’un des inventeurs des schémas de rimes multi-syllabiques complexes, en plus d’être l’un des plus grands storytellers avec une qualité narrative et des descriptions sans précédents. Le single It’s A Shame est l’un des meilleurs exemples, G Rap se décrit comme un caïd de l’héroïne avec un style de vie extravagant dans une narration à la première personne, même si le refrain chantonné laisse sous-entendre qu’il éprouve quelques remords quant à ses choix de vie. Fast Life décrit également ce business et style de vie mafieux, cette fois accompagné de Nas. 

Excecutioner Style, Kool G Rap

I gets rid of niggaz quick cause ain’t no bullshit permitted 
I’m a outlaw, the motherfuckin’ villain doin’ killings, I won’t stop 
Until the morgue got bodies stacked up to the fuckin’ ceiling 
And ain’t no drivebys, a mag and a bag lady, disguised and surprise 
You got a hole between your fuckin’ eyes 
Niggaz is grazed, catchin’ strays from the blaze 
Amazed by the ways I lays em down when my shit sprays 
Crazy brains hangin’, and niggaz veins are swingin’ 
Bangin’ and gunslingin’, even my own fuckin’ ears are ringin’ 

Comme son compère du Juice Crew Big Daddy Kane, G Rap est vantard et ostentatoire, fortement attiré par la richesse et l’argent qui est l’un des thèmes centrals de l’album. Il vante sa richesse générée par les profits de ses affaires douteuses à de multiples reprises, bien que ces affaires le conduisent à des scènes violentes. Des morceaux comme Excecutioner Style ou Take Em To War décrivent des scènes crasseuses aussi barbares que glaçantes avec une narration précise et imagée qui tient en haleine. 

Si les paroles peuvent être glaçantes, les productions le sont aussi. Les producteurs lui offrent un terrain de jeu parfait avec des rythmes sinistres et street-wise. En fait, la construction est relativement simple mais finalement très efficace, la plupart des morceaux suivent le même le schéma, un rythme de batterie, une basse et un sample soigneusement sélectionné. Les touches de piano de Ghetto Knows sont aussi froides que prenantes. Le riff de basse repris de Chameleon de Herbie Hancock sur Money On My Brain donne la touche jazz stressante idéale, alors que It’s A Shame se rapproche plus d’un funk en reprenant Love Is For Fools de Southside Movement. Les rythmes majoritairement jazzy de Dr Butcher, qui assure cinq production, accompagnés de Naughty Shorts, T-Ray et Buckwild pour deux productions chacun, sont finalement parfaits pour le thème, assez glamour pour assurer l’extravagance et la luxure, comme For Da Brothaz, et assez street pour soutenir la violence, comme Money On My Brain.

Après être entré dans la légende et les déconvenues de Live and Let Die qui ont failli le laisser sur le carreau, Kool G Rap assure un bon rebond dans sa carrière solo avec 4,5,6, soutenu par quelques singles à succès. Ce n’est peut-être pas le meilleur de sa carrière globale, mais sans doute le meilleur de sa carrière solo. Cet album arrive dans une période où le mafioso/gangsta rap était légion dans les rues de New York, Kool G Rap est définitivement le pionnier et celui qui a inspiré la génération suivante en la matière. Mais en 1995, il semble être rattrapé par les nouveaux venus qui ont repris son flambeau. Ne vous méprenez pas, 4,5,6 est un album incroyable et un classique dans son domaine, mais il reste plus underground que d’autres réalisations de l’époque telles que Only Built 4 Cuban Linx, Ready To Die, Liquid Swords ou Reasonable Doubt.

Note : 5/5

Par Grégoire Zasa


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2 réflexions au sujet de « 4,5,6, Kool G Rap »

  1. Un album terriblement sous-coté. De toutes façons, KOOL G RAP lui-même est un MC bien trop mésestimé. Pourtant, lui et BIG DADDY KANE sont clairement les pères de tous vos rappeurs préférés. Sans les pointures du JUICE CREW, point de NAS, JAY-Z, NOTORIOUS BIG, RAEKWON, BIG L, AZ etc… La révolution du emceeing, déjà un peu amorcée par RAKIM, c’est KOOL G et KANE qui en sont à l’origine.

    Concernant l’album, c’est un chef-d’oeuvre de sombritude, transcendé par un KOOL G RAP à l’apogée de son art. Il délivre ici une performance qui, à mesure qui j’y réfléchis en écrivant ces lignes, me parait quasiment sans équivalent. Là tout de suite, je ne vois que BIG PUNISHER qui puisse tenir un rythme aussi effréné en restant impactant et pertinent. Le disque baigne dans une ambiance brumeuse des plus envoutantes servant à merveille le propos du King from Queens. Une ambiance dont les amateurs du genre se délecteront sans retenue, tandis qu’elle cantonnera du même coup le disque à un succès ne dépassant pas certaines frontières. Toujours est-il que l’on aura rarement entendu des prods aussi bien cisaillées par un MC, que le « Mafioso-Rap » n’aura jamais été aussi captivant et que n’importe quel Hip-Hop Head un tant soit peu averti vous dira que « It’s A Shame » et « Executioner Style » sont des tueries absolues et saura vous convaincre du bien fondé de vous passer « Blowin’ Up In The World » au moins une fois par jour.

    Oubliez les querelles de vos stars préférées. Il est là, le vrai roi de New-York.

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    1. C’est en effet l’objectif de cette chronique, et de ce site de manière globale : remettre de la lumière sur des artistes et albums qui sont moins estimés et moins reconnus.
      Après je nuancerais quand même un peu ces propos, oui G Rap est un rappeur exceptionnel et le pionnier en la matière, 4,5,6 est un chef d’oeuvre. Mais les autres albums de mafioso rap des années 90 sont eux aussi exceptionnels, et notamment ceux cités dans cette revue. Dire qu’un album est exceptionnel n’implique pas forcément de dénigrer, diminuer ou oublier les autres. Il ne faut pas oublier non plus que nous sommes pas tous sensibles de la même manière à la musique, et quand on parle de classique comme OB4CL, 4,5,6 ou Liquid Swords, le classement se fait uniquement sur la sensibilité tellement ces albums sont tous exceptionnels.

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