Readyrock, 2000
Un album qu’on a failli ne jamais pouvoir écouter. Heureusement entre les différentes bootleg et versions non officielles qui ont pu leaké, on a finalement eu le droit à une réédition en bonne et due forme par Readyrock en 2000.
En réalité l’histoire de ce jeune groupe plein de talent est assez tragique, le trio KMD semble avoir été épargné par la chance. Le trio originaire de Long Beach, New York commence comme un groupe de graffiti avant se voir proposer de participer sur un titre, The Gas Face, des 3rd Bass. Grâce à cette apparition, ils ont pu obtenir rapidement un contrat avec Elektra par l’intermédiaire de Dante Ross, ce qu’il leur permettra de sortir un premier album Mr. Hood en 1991.



On a tendance à oublier KMD dans l’histoire du Hip Hop, pourtant c’est ainsi que Daniel Dumile, à l’époque connu sous le nom de Zev Luv X, fera ses débuts avec son frère Dingilizwe Dumile a.k.a. DJ Subroc et Onyx the Birthstone Kid. Ce dernier remplacera Rodan qui a quitté le groupe avant la sortie du premier album. Daniel Dumile n’est autre que le vilain masqué MF Doom qu’on connait aujourd’hui.
KMD ont-ils été réellement abandonné par la chance ? Oui et non. Les trois étaient des activistes musulmans au sein du Nuwaubian Nation, un mouvement suprématiste noir légèrement conspirationniste. Comme tous artistes ou groupes de Hip Hop, cet activisme va se ressentir dans les lyrics. Pourtant, dans leur premier album, KMD utilisera une approche faussement candide et teintée d’humour, ce qui permet d’atténuer légèrement le message.



Après la sortie de Mr. Hood, le groupe prépare Black Bastards, qui est prévu initialement pour 1993. Mais les choses ne se dérouleront pas comme prévu. Avec des artistes comme Ice Cube ou Paris qui sont passés par là avec des propos revendicateurs, l’industrie de la musique devient nerveuse et tendue. La cover mettant en scène un Sambo qui se fait lyncher n’est pas passée auprès d’Elektra. La maison de disque a pris la décision d’abandonner le projet et surtout de rompre le contrat du groupe. Pourtant, KMD n’était pas plus militantiste que d’autres groupes comme Brand Nubian également signé sur Elektra. Même si le contenu de Black Bastards est plus revendicateur avec une position plus dure que sur leur premier album, le groupe avait pourtant gardé une certaine touche de légèreté.
Quoi qu’il en soit, la finalité est là, l’album est abandonné et on a dû attendre 2000 pour pouvoir l’écouter dans une version officielle. L’avantage est que le groupe, ou plutôt MF Doom, a pu faire ce qu’il souhaitait et sortir l’album avec sa propre direction artistique, sans censure comme ça aurait pu être le cas s’il était sorti à l’époque sous Elektra.
On l’a compris, le groupe est revendicateur, afrocentré et un brin taquin envers le gouvernement, ils ne se privent pas pour diffuser son message. Le groupe garde son côté sarcastique tout en énonçant ses idéaux inspirés de la rhétorique des Five Percenters et en dénonçant les stéréotypes racistes, notamment sur les morceaux Black Bastards et What A Nigga Know?. Des thèmes plus légers sont abordés comme l’alcoolisme avec Sweet Premium Wine, la consommation de drogue avec Smokin’ That S*#% ou encore les femmes avec Plumskinzz. Même si les thèmes paraissent plus divertissants, le ton utilisé est clairement incendié, ici on abandonne la légèreté. Si on veut se marrer, il faudra s’attarder sur Contact Blitt qui est clairement hilarant avec un ton plus décontracté.
Les rythmes funky sont simplement magiques. On regrette la qualité du mixage sur certains morceaux lié à l’abandon du projet par Elektra, on peut les remercier d’avoir flingué un tel projet… Un peu plus de soin aurait pu être apporté au remastering et au mixage de cette réédition. Mais globalement l’album sonne juste et les productions sont très bien réalisées. Le petit sifflement de flute de What A Nigga Know, les notes de synthé funky sur Sweet Premium Wine ou le saxophone de Contact Blit rendent cet album aussi éclectique que somptueux.
Black Bastards était considéré comme un Saint Graal dans le Hip Hop à l’époque. Tout le monde souhaitait obtenir une copie, même de piètre qualité, pour savourer la musique de KMD. Un album qui aurait pu devenir un classique, mais Elektra a préféré mettre KMD à la porte pour son contenu soit disant trop hardcore. Peu avant la sortie la fin de l’enregistrement de l’album, DJ Subroc, le frère de MF Doom, trouve la mort dans un tragique accident de voiture. Cet évènement, en plus des désillusions liées à la rupture du contrat, pousse KMD à se séparer, et Zev Luv X s’écarte de la scène musicale pendant une longue période, dégouté par l’industrie musicale. Il reviendra 6 ans plus tard comme le vilain masqué MF Doom en 1999 avec un premier album solo Operation Doomsday.