CALL ME IF YOU GET LOST, Tyler The Creator

CALL ME IF YOU GET LOST, Tyler The Creator

Columbia, 2021

Dès ses débuts, Tyler The Creator était déjà remarqué. Je me souviens de la sortie en 2011 de l’album Goblin et son titre Yonkers qui avait fait tourner toutes les têtes par son originalité et sa voix rocailleuse, le jeune rappeur était vu comme un phénomène et une star montante. Quelques temps avant, son featuring avec Pusha T sur Trouble On My Mind sortie sur la mixtape Fear Of God l’avait fait connaître auprès du public rap. Son premier album avait des tendances assez horrocore plutôt conceptuel et des lyrics abrasives, presque même dérangeantes, poursuivant le concept de sa première mixtape Bastard sortie deux ans plus tôt.

Depuis ses débuts, Tyler Okonma a su se faire une place remarquable dans le rap avec des albums acclamés par la critique, notamment Flower Boy et Igor qui sont ses plus gros succès. En réalité ces deux albums sont plus doux musicalement et moins vulgaires lyricalement que ses précédentes réalisations. Mais Tyler est aussi plus introspectif dans ces derniers, notamment Igor qui conte un amour triangulaire entre lui-même, une femme et Igor, un homme, probablement son alter ego, qui l’éloigne de cette dernière.

Call Me If You Get Lost est plus ou moins une suite de Igor où Tyler est plus sincère et plus direct. Il repousse une nouvelle fois les limites du politiquement correct. Finalement, l’album va raconter l’évolution musicale et personnelle du rappeur et artiste qu’il est. Le passage d’un jeune gamin anxieux qui a pour objectif de choquer avec des insanités à un amoureux sensible avec un côté malicieux.

La cover est inspiré, d’après Tyler lui-même, des passeports du début des années 1900, ce qui interpelle dans son concept. Tyler s’apprête à dresser son identité, revenir sur lui-même avec un album introspectif. Finalement sera-t-il aussi introspectif qu’il prétend l’être ? Le personnage qu’il va incarner peut nous permettre d’en douter.

Tyler The Creator se plonge dans le personnage de Tyler Baudelaire, en référence au poète français Charles Baudelaire, auteur du recueil de poèmes les Fleurs du Mal. Le parallèle entre Tyler et Baudelaire peut s’analyser de plusieurs manières. La première est la censure qu’a connue Baudelaire pour sa vulgarité et ses propos explicites, qui rappelle étrangement les débuts de Tyler et ses fameuses controverses pour ses propos homophobes, entre autres. La deuxième est l’évolution de Tyler vers un personnage plus sensible et honnête qui contraste avec son personnage abrupte et rude de ses débuts, la métaphore des fleurs du mal. En ce sens, Call Me I You Get Lost peut être vu un mélange des deux personnalités que Tyler a pu montrer sur ses albums précédents, l’avant Flower Boy et l’après Flower Boy, le rappeur endurci et le pop-rappeur sensible.

Tyler The creator

I’m on the hunt for perfect but decent is what I been on
I know she fell in love but commitment is not my end goal
And all my friends that did got too comfy, a little chubby
And that drive to make that money dried up when that nose was runny

I be talkin’ that fresh, shit, I don’t need gum (no)
Cookie crumbs in the Rolls, never no weed crumbs (no)
He ain’t talk to his bitch in three days (no)
It ain’t gotta be this way, I’m down for the threesome (woo)

L’album suit une trame de fond sur la séduction compliquée d’une femme suite à la fin sa relation précédente avec la douleur intérieure qui en découle. La complexité de Tyler réside dans le fait qu’on ne sait jamais s’il parle avec son cœur, son personnage ou son alter-ego, lui permettant de dire ce qu’il souhaite sans qu’on puisse s’attaquer directement à lui ou même le juger. Pourtant son message est passé.

Il ouvre avec un premier morceau introductif où il nous présente son nouveau personnage SIR BAUDELAIRE sur un sample de Siesta de Billy Cobham, qui rappelle légèrement Survival of The Fittest de Mobb Deep, CORSO va reprendre la trame de fond de l’album avec des changements d’ambiance qui provoque à la fois une tendresse et une colère agressive une fois passé l’introduction.

Globalement l’ambiance donne l’impression d’entrée dans un film dramatique d’espionnage, avec une alternance entre moments romantiques et sursauts épiques, très perceptible entre LEMONHEAD et WUSYANAME. Mais l’album joue presque intégralement sur une succession incessante de chansons calmes avec des petites flûtes et agressives avec des basses grondantes, qui relève le concept de la dichotomie des Fleurs du Mal mais surtout de sa personnalité. Un autre exemple, SWEET / I THOUGHT YOU WANTED TO DANCE avec un morceau oscillant entre la Soul et la Bossa Nova des années 70 et ses chants mélodieux et le tremblement de terre MANIFESTO.

Le même parallèle peut être fait avec les Fleurs du Mal et les deux personnalités dans la carrière de Tyler sur la musicalité. On retrouve la douceur Pop-rap de Igor et Flower Boy, et les échantillons crasseux inspirés du rap New Yorkais hardcore des années 90 de ses premiers albums. Même si cette analogie se retrouve dans l’alternance des chansons, elle se retrouve dans les chansons elles-mêmes avec une complexité plus savante qu’habituellement. Finalement l’album va puiser ses influences un peu partout, en passant du Jazz, de la Soul, de la Bossa Nova, de la Pop au Reggae avec une utilisation du sample ingénieuse. Là où Tyler excelle dans la production, accompagné occasionnellement d’invités, c’est dans le mélange des influences tout en conversant une trame cohérente. Les passages entre les chansons sont remarqués et vont dans la direction que Tyler souhaite donner à l’album.

Tyler The Creator est honnête, il confesse ses aventures homosexuelles sur MASSA alors qu’il confie être amoureux de la fille d’un ami sur WILSHIRE. Sur BLESSED, il se déclare blessé, reconnaissant d’être amoureux, même sans la femme de ses rêves. Finalement, on tente de comprendre qui est Tyler mais on ne sait jamais s’il parle avec lui-même ou avec son personnage, Tyler Baudelaire. Une fausse honnêteté donc qui est taillée d’arrogance avec des rimes pleines de vantardises ou des punchlines choquantes.

Call Me If You Get Lost est-il un résumé de la carrière de Tyler ? Non, mais il parvient à mélanger les éléments des différentes périodes de sa carrière avec un album en double mesure. Il garde une cohérence dans son thème et dans les sonorités. Un concept très bien maitrisé à ce stade de sa carrière. Il montre une double personnalité. Tyler est peut être finalement LA Fleur du Mal.

Note : 4/5

Par Grégoire Zasa


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