Les oubliés de la Hit Squad

Les oubliés de la Hit Squad

Quand EPMD apportait son groove sur la scène New Yorkaise


L’émergence des collectifs à New York

New York a toujours été une terre fertile pour le Hip Hop, notamment à la fin des années 80 où chacun des groupes apportaient son lot d’innovation. Rakim a été le premier a révolutionné le flow avec une approche beaucoup plus méthodique, il a été l’un des éléments déclencheurs et a facilité toutes les autres innovations qui ont suivi. Beaucoup d’autres collectifs ont émergé par la suite, tous avec un style distinct et ses propres qualités.

En même temps que le collectif Natives Tongues apportait un vent afro-centré sur le Hip Hop avec le Daisy Age, et bien avant que la Boot Camp Clik et Duckdown fassent leur révolution avec un Hip Hop sombre et gangsta, un autre collectif était en train d’émerger apportant un autre style dans le rap New Yorkais. Ce collectif, c’est le Hit Squad. Formé par le duo EPMD juste après le succès de Strictly Business, le Hit Squad était un collectif de kickeurs regroupant EPMD eux-mêmes avec Erick Sermon et Parrish Smith, Redman, DJ Skratch, K-Solo mais aussi Top Quality, Hurricane G, 3rd Eye, le duo Knucklehedz et Das EFX.


La Hit Squad, le son groovy et funky de New York

Si tous les afficionados connaissent Das EFX avec Dray et Skoob, originaire de Virginie et Redman, natif du New Jersey, on a tendance à oublier que le Hit Squad était en réalité beaucoup plus que les trois artistes/groupes majeurs. Mais avant tout, il est pertinent de revenir sur ce qu’ils ont apporté de particulier à la Grosse Pomme. En tant que leader du collectif, EPMD va apporter des sonorités beaucoup plus groovy qu’habituellement à New York, avec des samples issus majoritairement du Funk et du Rock. Cette identité sera l’une des marques de fabrique du collectif, y compris pour la plupart des autres albums de ces membres.

Sur ces sonorités groovy funky, le collectif apportera une énergie différente, il ne faut pas oublier qu’ils sont avant tout des kickers, mais toujours avec des lyrics travaillées et des punchlines fracassantes. D’un côté, on a un flow rapide et un slang typique pour Dray et Skoob des Das EFX avec leur manière de ponctuer leurs lignes par « iggedy ». Le duo sera le précurseur d’un nouveau style , très novateur, tout en étant fluide et amusant. Ils ont une capacité à jouer avec leurs langues, comme s’ils la tordaient, associé à un flow très rapide pour un rendu unique. D’un autre, on a Redman qui, quant à lui, a amené une certaine folie dans son personnage, style qui le suivra toute sa carrière mais surtout sur ses 4 premiers albums, en particulier avec son alter-ego Soopaman Luva. Son flow complète des productions toujours riches en samples de Funk, typique du collectif, tout en étant épurées à l’écoute, Dare iz a Darkside est le summum de ce style avec une influence directe du P-Funk, notamment la couverture reprise de Maggot Brain.

Si les discographies de ces artistes sont reconnues et souvent mises en avant, il faut également s’intéresser aux autres acteurs oubliés de ce collectif : K-Solo, Top Quality et Knucklehedz. C’est à ces fameux oubliés de la Hit Squad qu’on va s’intéresser aujourd’hui, car même s’ils sont moins en vues, ils ont eux aussi leurs intérêts.


K-Solo : le talent dissimulé du crew

Premier membre de la Hit Squad à sortir un solo, K-Solo apparaît pour la première fois en featuring sur le morceau « Knick Knack Patty wack » de l’album Unfinished Business en 1989. Signé chez Atlantic, son premier album solo, Tell the World My Name, sort dès 1990. Produit entièrement par Parrish Smith, à l’exception d’un morceau produit par Erick Sermon, K-Solo est la véritable vedette de l’album, puisqu’aucun featuring n’apparait. Il étale déjà son flow acéré avec de très bons ego-trip comme Everybody Knows Me ou Tales From The Crackside. D’autres morceaux plus festifs mais tout aussi efficaces comme Speed Blocks et Solo Rocks the House adoucissent la tonalité avec un style qui se rapprochent du groove d’EPMD.

Your Mum’s in my Business présente un bon storytelling sur la famille et une relation de couple compromise, sur un sample de Before I let Go de Maze & Frankie Beverly très bien choisi pour ce titre, les influences de EPMD sont toujours là. Renee-Renee est le morceau plus détente de l’album avec un thème plus léger, K-Solo raconte une aventure avec une prostituée sur un sample de Crab Apple de batteur Jazz, Idriss Muhammad,. The Messenger apporte une touche consciente à ce solide projet. Si l’album est resté relativement confidentiel, il mérite d’être écouté de par son style EPMDien. 

Pour son second album, Time’s Up, sorti en 1992, K-Solo offre une énergie encore plus grande. Mais K-Solo prend aussi une forme d’indépendance. Si la direction artisitique est assurée par Parrish Smith, d’autres producteurs apparaissent, notamment Sam Sneed avant qu’il ne signe chez Death Row mais aussi Pete Rock, ou encore K-Solo lui-même. Finalement, EPMD ne s’occupe que de trois morceaux.

Letterman et Who’s Killin’ Who ? font partie des moments forts de l’album, produit respectivement par Pete Rock et Sam Sneed. Le premier s’empare d’un sample du pianiste de Jazz Jackie Mittoo, accompagné d’un sample de Kool & The Gang sur le refrain pour apporter une touche un peu plus Funk typique de la Hit Squad. Le deuxième apporte un moment plus mélancolique avec un riff repris de Barry White.

L’art du sampling est maitre chez la Hit Squad, K-Solo ne fait pas exception. Household Maid rappelle fortement Strictly Business avec probablement le morceau le plus groovy de l’album et son sample à peine dissimuler de Part Two (Let a Man Come In and Do the Popcorn) de  James Brown. Malgré tout, quelques morceaux bien plus sombres viennent se glisser, notamment Rock Bottom ou King of the Mountain. Si le premier est presque stressant, le deuxième est un peu plus groovy avec son sample de Inner City Blues de Marvin Gay, la façon dont le sample a été retravaillé est prodigieuse, Sam Sneed en fait quelque chose d’angoissant alors que le morceau original oscille entre douceur et mélancolie.

Malheureusement la carrière de K-Solo sera relativement éphémère puisqu’on le retrouvera ensuite qu’en featuring, notamment sur Head Banger d’EPMD en 1992, puis ensuite en 1996 sur le titre It’s Like That de Redman. Après la séparation du Hit Squad sur l’année 92, K-Solo tentera de se relancer chez Death Row par l’intermédiaire de Sam Sneed, mais rien de concret ne sortira.


Top Quality : le kicker faussement sombre

Originaire de White Plains dans l’état de New York, Top Quality est le premier artiste de cette ville à obtenir un deal avec une major, RCA une filiale de BMG. Magnum Opus est un concentré de kickage et d’énergie dans lequel on peut retrouver des similitudes avec Smif N Wessun ou Trendz of Culture au niveau de l’ambiance, des drums secs et des samples de cuivres poussiéreux qui nous plongent dans un univers sombre.

L’introduction Messages From Uptown annonce la couleur avec un funk anxiogène, puis on alterne entre démonstration technique et sons plus smooth sous forme de storytelling. Caught up in the Flizny est efficace mais minimaliste où Top Quality offre une véritable démonstration technique.

Rattrapé ensuite par le titre éponyme, Magnum Opus, beaucoup plus riche est entraînant avec son sample groovy extrait de Step Into Our World de Roy Ayers et Wayne Henderson. On peut saluer également l’exercice de flow sur Check The Credentials avec un nouveau beat minimaliste, un concentré de percussions qui donne une impression cypher. Something New apporte une autre alternative avec un  mélange de Funk et de Jazz, U Know My Name conclue l’album avec un sample de Marcella’s Dream de The Crusaders pour une ambiance étrange à la fois sombre et Funk, très typique de Redman.

La patte de Parrish Smith à la direction artistique se ressent une nouvelle fois, mais pour autant Top Quality en fait quelque chose de plus sombre, probablement grâce au style de production de Jesse West a.k.a. 3rd Eye qui a composé la majeur partie de l’album, tout en conservant par moment le style entrainant d’EPMD et le style kicker de Redman. 

Sans être un classique ultime, c’est un album qui vaut la peine d’être écouté et qui a sûrement inspiré d’autres MC comme Mic Geronimo ou Channel Live à sortir de l’ombre.


Knucklehedz : le blunt rap smooth

Dans une autre couleur artistique, le duo Knucklehedz, originaire de Long Island, propose, avec leur album Strickly Savage, une atmosphère « blunt rap » smooth et décalée à l’image des Funkdoobiest sur la côte ouest. Ici, le style et l’interprétation priment, les rimes et les tours de passe-passe verbaux sont bien amenés. On suit Tom J et Steve Austin dans leur quotidien de quartier. PMD se fait plaisir à la production, avec une surutilisation de James Brown pour les samples, notamment The Payback, ou encore dans un autre registre, La di-da Di de Doug E. Fresh et Slick Rick, l’une des chansons les plus samplées dans le Hip Hop.

Girlies Keep Screamin’ expose leur relation aux groopies, Dans le même registre, All She Wanted relate une relation avec une femme qui ne veut rien de sérieux, un morceau plaisant avec deux samples vocaux, Quickie de George Clinton et Slow Down de Brand Nubian, quoi de plus logique au vu du thème abordé. 5 Hoods In a 4 Door et Joy Ridin’ proposent des rythmes plus laid back.

Si on ne peut pas parler de chef d’œuvre et même si le thème de l’album est assez limité, il vaut l’écoute de par la qualité de son sampling et ses scratchs. Le duo peut se féliciter d’avoir été pris sous l’aile d’EPMD.


Si ces albums ne sont pas des grands classiques, ils sont une page de l’histoire d’un des collectifs emblématiques de New York. A cette époque, EPMD était à son apogée et a su développer et accompagner des talents, certains ont été particulièrement réussi, Redman ou Das EFX, d’autres ont malheureusement été des échecs commerciaux, Top Quality ou Knucklehedz, K-Solo se situant un peu à la frontière des deux. Même s’ils ont été des échecs, ils valent la peine qu’on s’y attarde, chacun d’entre eux présentant ses particularités.

Seuls quelques artistes du collectif ont perduré, on sait lesquels, Redman et Das EFX pour les nommer. Les trois autres, Top Quality, Knucklehedz et K-Solo, ont vu leur carrière s’arrêter plutôt brutalement, très certainement lié à la séparation de EPMD en 1992  après quelques querelles internes, ayant perdu leur principal appui. De la même manière, le collectif se séparera, Erick Sermon emmenant avec lui Redman et Keith Murray pour former Def Squad, et Parrish Smith gardant le nom de Hit Squad aux côtés de Das EFX. Il faudra attendre 5 ans plus tard en 1997 pour avoir un retour de EPMD avec Back In Business, le collectif lui se reformera seulement en 2006.  

Par Théo Berlemont


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