Part 2 – La fission avec le Disco (2/5)
Comme beaucoup de musique, le Hip Hop nait d’une volonté de s’exprimer mais aussi et surtout d’une volonté de faire la fête et de s’amuser. En ce sens, le Hip Hop nait d’une fission entre la musique Disco et ce qui deviendra le Hip Hop. Mais avant tout, le Hip Hop nait dans la rue, et en particulier dans les block-parties.
Les grands oubliés de l’histoire
Si DJ Kool Herc est crédité comme étant le premier, les mérites ne lui reviennent pas entièrement. Je ne remets pas en cause son statut de pionnier, mais certains noms sont trop souvent oubliés, ou méconnus, au détriment de Kool Herc, probablement parce que ces artistes sont plutôt considérés comme Disco que Hip Hop. Si on s’attarde un peu en détail, ils ont pourtant introduits les premières techniques, soit avant, soit plus ou moins en même temps que Kool Herc.
Le premier oublié est DJ Hollywood, et s’il mixait avant tout de la musique Disco, avec une double platine, il a introduit les premières techniques dites Hip Hop avec des interactions avec la foule en rappant et chantant en rythme quelques rimes sur les morceaux jouées. Talentueux, dès 1972, il commence à mixer dans les clubs de New York, et notamment à l’Apollo, faisant de lui l’un des premiers artistes avec un style se rapprochant du Hip Hop à se produire dans un club.
Dans la même idée et dans la même période, un autre initiateur des block-parties à New York était Disco King Mario et son crew, les Chuck Chuck City. Mais comme beaucoup de DJs de l’époque pré-Kool Herc, il jouait principalement de la musique Disco, ce qui explique qu’il est moins bien reconnu comme un pionnier du Hip Hop. Mais pourtant, l’un de ses assistants n’est autre que Afrika Bambaataa, qui sera quelques années plus tard l’un des fondateurs de la culture Hip Hop et l’un des DJs les plus reconnus dans la rue pour ses block-parties.
Grandmaster Flowers est un autre grand oublié dans les piliers de la fondation de la culture Hip Hop. Il est vrai qu’il est avant tout un DJ de Disco comme les autres sus-mentionnés, mais il est l’un des premiers, si ce n’est le premier, à avoir mixer avec deux disques en même temps, technique appelée « mixing in sequence ». En ce sens, Flowers a apporté une innovation majeure pour le Hip Hop et a donc été une influence certaine pour tous les DJs Hip Hop qui ont suivi. Son pseudo de Grandmaster est d’ailleurs une autre des influences Disco qui a été reprise dans le Hip Hop par ses successeurs, vous savez très bien à qui je fais référence ici.
Pourtant, Flowers a très rapidement été évincé par des DJs comme Kool Herc ou Hollywood, et plus tard par Afrika Bambaataa ou Grandmaster Flash, qui ont écarté de plus en plus le Disco pour devenir plus fondamentalement Hip Hop. C’est ainsi qu’une guerre, ou plutôt une concurrence, commence à se former dans les discothèques de New York, entre ceux qui voulaient continuer à jouer du Disco et ceux qui s’en émancipaient pour devenir plus Hip Hop.
Le perfectionnement des techniques musicales
Cette guerre, ou concurrence, dans les clubs de New York entre Disco/Funk et Hip Hop s’amplifiera de plus en plus sur la deuxième moitié des années 70, dont certains étaient très réticents à introduire des artistes Hip Hop dans leurs discothèques. Même si le Hip Hop n’était pas encore tout à fait véritablement reconnu comme une musique, tout du moins ses codes étaient encore un peu flou ou méconnus, certains DJs et MCs utilisaient de plus en plus les nouvelles techniques mises en place par Kool Herc, Hollywood et Flowers, notamment.
Petit à petit, le public percevait de plus en plus la différence entre les DJs Disco et les DJs Hip Hop, notamment grâce au perfectionnement des innovations techniques de leurs prédécesseurs. Le plus grand innovateur sur les techniques de DJing de la deuxième période des années 70s est Grandmaster Flash, accompagné de son groupe, les Furious Five, et en particulier Grandmaster Melle Mel, pour les techniques de MCing. Grandmaster Flash & The Furious Five sont probablement les plus grands artisans et créateurs des techniques musicales du Hip Hop, qui sont encore utilisées aujourd’hui



Si Flash a longuement étudié les techniques de DJing de Kool Herc ou Flowers, il se les ai approprié et les a perfectionné. Ces techniques se basent sur le mixage en séquence, mixer sur une double platine avec deux vinyles, développé par Flowers, et qui a elle-même permis de développer le break-beat. Ce dernier, inventé par Kool Herc, consiste à isoler le rythme de la batterie, appelé break, pour passer d’un break à l’autre utilisant le mixage en séquence avec deux mêmes vinyles pour allonger le break.
A partir de ces deux techniques majeures, Flash en a créé de nouvelles. La première est le back-spin, qui permet de jouer le même break en boucle en « rembobinant » manuellement le vinyle de la deuxième table une fois celui de la première table terminé en switchant de table indéfiniment. En parallèle, il a développé le punch-phrasing qui consiste à superposer des fragments de musique sur un rythme de batterie. Ces deux techniques, en plus du scratching inventé par Grand Wizard Theodore, ont révolutionné le DJing qui avait l’habitude de jouer des disques sans les manipuler. En réalité, ces techniques sont les précurseurs du sampling qui sera utilisé massivement par les futures générations du Hip Hop.
L’émergence dans les discothèques
Grâce à ses innovations, Flash parvient à dynamiser et tenir en haleine la foule avec des rythmes dynamiques et contribue à l’émergence du Break-dance, qui tire son nom de la technique de DJing « Break ». Accompagné des Furious Five, à savoir Melle Mel, Kidd Creole, Keef Cowboy, Scorpio, et Rahiem, ces MCs vont révolutionner les techniques de rap, ce n’est plus quelques rimes éparpillées qui chevauchent la musique, mais bien un texte qui suit le rythme avec une diction cadencée.
Les thèmes abordés changent également, les Furious Five s’écartent très légèrement du seul but d’animer la foule avec des shout-outs ou rimes entrainantes mais commencent également à intégrer un commentaire politico-social à leurs textes, même si ça reste assez marginal et occasionnel à l’époque. Et si ça ne suffit pas, ils ont également inventé le mot Hip Hop, avec la gimmick de Keef Cowboy « hip/hop/hip/hop/hip/hop » pendant la soirée au Black Door.
La popularité du groupe monte en puissance grâce à leur capacité à mettre l’ambiance. Le Hip Hop devient aisément reconnaissable avec une identité et une musicalité définies. Le public délaisse progressivement le Disco en faveur du Hip Hop dans les clubs.
Certaines discothèques l’ont particulièrement compris, notamment Sal Abbatiello, fils du propriétaire du Golden Hour, du Pepper-n-Salt et du Disco Fever. Ce dernier ne parvenant pas à attirer du monde, Sal décide d’inviter des artistes Hip Hop pour maximiser l’affluence dans le club. Très vite, la discothèque devient populaire et l’une des places les plus célèbres pour le Hip Hop, et beaucoup de clubs suivront, au détriment du Disco qui perd en intérêt auprès du public, les battles Disco sont remplacées par des battles de Break-dance.
D’autres DJs reconnus suivront les traces de Grandmaster Flash sur la fin des années 70s, notamment DJ Disco Wiz & Mighty Force crew, Grand Wizzard Theodore & the Fantastic Five, Cold Crush Brothers, Love Bug Starski ou encore Busy Bee Starski. Ce qui contribuera à l’essor du Hip Hop dans le paysage musical et dans les esprits des auditeurs. Le rap est maintenant sorti des block-parties et devient moins confidentiel.
Par Grégoire Zasa
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