Supreme Clientele, la dernière bataille victorieuse avant la chute de l’empire du Wu-Tang
Epic / Sony / Razor Sharp , 2000
La formation d’un empire
Au milieu des années 90, le Wu-Tang Clan semble être intouchable. Les neufs moines spécialistes des arts martiaux emmenés par le maître RZA ont secoué le Hip Hop dès le début des années 90 avec Enter The Wu-Tang. Personne ne s’y attendait, personne ne les a vraiment vu venir. Un groupe de dix rappeurs assoiffés, avec la rage au ventre et une envie meurtrière, prêts à tout découper, se servant du micro comme d’un sabre.


Ils révolutionnent le Hip Hop. Un groupe de dix rappeurs était déjà difficilement envisageable, c’était totalement inédit et surtout très culotté. Mais le Wu-Tang va surtout apporter un son beaucoup plus brut, beaucoup plus rugueux, beaucoup plus sombre, beaucoup plus crasseux, et surtout beaucoup plus gangsta avec un fond de mythologie asiatique centré sur les arts martiaux inspirés des films de Kung-Fu. Le Wu-Tang apporte un thème totalement novateur, tout en proposant des sonorités encore inédites et en ramenant le gangsta rap sur le devant de la scène à New York. Même eux ne s’attendaient probablement pas à un tel succès Mais 30 ans après la sortie de Enter The Wu, l’album est toujours l’un des plus respectés et considéré comme une pièce maitresse du Hip Hop.
Le rayonnement du Wu par la diaspora
Très vite, les membres signent chacun sur des maisons de disques différentes. S’en suit une première vague d’albums solo entre 1994 et 1996, toujours sous l’aile de RZA qui assure la production et la direction artistique de chacun des albums. Cinq albums en trois ans, tous classiques. Je ne vais pas m’attarder sur chacun des solos, on sait ce qu’ils sont, et il y a beaucoup à dire sur chacun d’entre eux puisqu’ils ont chacun leurs styles, leurs particularités avec des univers sensiblement différents.
A la fin de cette première vague de solo, le Wu-Tang semblait définitivement dominer le Hip Hop New Yorkais. Ils ne sont pas seuls dans le paysage mais l’empire du Wu semblait intouchable, presque éternel.
Le retrait du stratège militaire
Suite au deuxième album du groupe, Wu-Tang Forever en 1997, toujours produit intégralement par RZA, une deuxième vague de solo va démarrer. Les absents de la première vague, Inspectah Deck, U-God, Cappadonna, ont cette fois eux-aussi droit à leur album solo. Mais quelques changements vont s’opérer. RZA s’absente de la production, il est toujours là, mais plus en retrait, il laisse la place à d’autres producteurs. Les Killa Bees, le collectif étendu du Wu, font leur apparition, à la fois à la production, mais aussi au micro.

On comprend que cette deuxième vague sera beaucoup moins fructueuse et prometteuse tant commercialement que musicalement. En effet, la qualité des albums semblent se dégrader. Ils ne sont pas fondamentalement mauvais, mais rien à voir avec les classiques de la première vague. Ce qui l’explique ? Les changements dans le Hip Hop new yorkais à la fin des années 90 ? Le retrait de RZA à la production ? L’introduction des Killa Bees, indéniablement moins talentueux que les membres du groupe ? Probablement toutes ces raisons cumulées. Même si le Wu-Tang tente de se renouveler, ils ne parviennent pas à maintenir la grandeur de leur empire après la sortie de Wu-Tang Forever. L’empire de nos moines semble-t-il toucher à sa fin ? Peut-être…
N’y-a-t-il pas un membre qui est capable de restaurer, ou du moins de maintenir, la grandeur du Wu ? Après tout, ils sont tous rempli de talent. Un membre va s’en charger, Ghostface Killah avec son deuxième album. Supreme Cliente arrive à la fin de la deuxième vague, en 2000. Pourtant, va-t-il vraiment restaurer la grandeur du Wu ? On va essayer d’y répondre.
La défense du dernier bastion
Comme on le sait, RZA s’absente partiellement de la production de la deuxième vague, Supreme Clientele ne fait pas exception. Sans notre stratège militaire, la musique sombre que dégageait du Wu s’en trouve forcement impacté.
Mais le rap évolue, après tout il n’y aucun mal à se renouveler et s’adapter à son époque. Les quelques productions estampillées RZA, en plus des skits, apportent l’obscurité caractéristique du Wu. Prenons Buck 50, la production est entrainante et sublimé par son sample de Hard Times de Baby Huey. Avec Cappadonna, Method Man et Redman, ce morceau rappelle aisément la grandeur du Wu avec un côté plus moderne. Method et Ghostface découpent au micro, Cappadonna propose un flow plus poussif. La mélancolie et la douceur de Child Play s’éloigne un peu de ce qu’on a l’habitude d’entendre avec le Wu, mais c’est terriblement efficace avec un Ghostface qui propose une belle rétrospective de son enfance avec un double sens.
Le soutien des forces alliés
Les autres producteurs sont quant à eux peu connus, à l’exception de JuJu des Beatnuts sur One et de Mathematics pour deux morceauxque nous avons déjà vu sur d’autres albums du Wu. Ce n’est pas nécessairement négatif. Ils vont offrir des productions plus joyeuses mais avec l’héritage musical du Wu. Ils permettent d’apporter une certaine fraicheur et la production est globalement réussie pour une ambiance qui reste relativement obscure. Les cordes mélodiques et les riffs de piano sont toujours là, à l’image de Malcom et son piano triste.
Ghost Deni apporte aussi sa tristesse mélancolique avec un sample de My Hero Is a Gun de Michael Masser, issu de la soundtrack Mahogany. Apollo Kids est beaucoup plus entrainante avec un côté film d’espionnage. Saturday Night suit le même modèle.
Le guerrier toujours aiguisé


Les talents de lyriciste de Ghostface n’ont pas bougé, toujours authentique, cependant l’effet de surprise du premier opus n’est plus là, mais ça ne l’empêche pas de briller au micro avec un flow ravageur. Sa performance sur Saturday Night est incroyable sur une très bonne production de Carlos Broady. Wu-Banga 101 permet aux membres du Wu de briller sur un beat taillé par Mathematics. Finalement la production relativement cinématographique fonctionne parfaitement avec les qualités de conteur dramatique de Ghostface.
