Le combat féministe de Salt-N-Pepa

Le combat féministe de Salt-N-Pepa

Very Necessary, un tournant plus Hip Hop aux saveurs Funky

Next Plateau / London , 1993

Un groupe souvent mis de côté dans le Hip Hop

Salt-N-Pepa n’a jamais fait l’unanimité dans le monde du Hip Hop, souvent critiqué pour leur côté Pop/Dance. Personne ne peut le nier, le trio du Queens a un côté Pop très assumé. Mais est-ce critiquable pour autant ? En réalité, ça pourrait, je critique souvent Puff Daddy et Bad Boys pour leur côté Pop et leur volonté commerciale. Mais la démarche musicale de Salt-N-Pepa est tout autre, l’aspect Pop est partie intégrante de la musicalité du groupe, et il faut prendre le groupe pour ce qu’il est. Qu’on aime ou pas, la question est tout autre, mais c’est compliqué de critiquer un groupe pour ce qu’il est, alors qu’il n’a aucune volonté de se faire passer pour autre chose. Salt-N-Pepa n’est pas fondamentalement Hip Hop et n’a jamais prétendu l’être.

Le duo de rappeuses, Salt et Pepa, accompagné de la DJ Spinderella, est en quelque sorte la réincarnation des groupes de Funk des années 70. Et elles me rappellent étrangement des groupes comme les Pointer Sisters, que ça soit dans les sonorités Funk influencées Pop, ou même dans le contenu des paroles. Salt-N-Pepa a toujours œuvré en faveur de la femme, avec une féminité et une sexualité affichées. Pourtant, le groupe n’est pas féministe à part entière, en tout cas pas dans la définition moderne du terme. 

Suivi par le producteur Hurby Azor depuis leur début, qui est à la main à la production comme à la direction artistique, les trois femmes semblent avoir réclamé un peu plus de liberté artistique depuis leur troisième album, Blacks’ Magic en 1990. En effet, les deux premiers albums,  Hot, Cool & Vicious en 1986 et A Salt with a Deadly Pepa en 1988, ont un côté Dance/Pop bien plus prononcé, tout en sonnant beaucoup plus Old School. Blacks’ Magic l’avait peut être légèrement moins, mais si on enlevait le rap, il était difficile de le considérer comme un album véritablement Hip Hop. 


Un album bien plus Hip Hop

Arrive Very Necessary en 1993, Hurby Azor est bien évidemment toujours derrière le trio, mais les rappeuses ont probablement insisté pour avoir un album plus Hip Hop, toujours dans un style Funky à l’influence Pop. L’évolution du Hip Hop depuis leur dernier album en 1990 a sans doute également joué dans la direction artistique de l’album, on a quelque chose d’à la fois plus moderne et aussi beaucoup plus intemporel.

D’ailleurs, le producteur ne croyait pas au single Shoop, le trouvant fade, qui est pourtant terriblement efficace avec son sample de I’m Blue de The Sweet Inspirations, également samplé par Ice Cube un an avant sur Check Yo Self. Cette chanson en elle-même annonce la couleur de l’album. Un rythme entrainant, un rap magnifiquement énergique, pour un morceau bien Hip Hop, confectionné par le duo de rappeuses accompagné de Sparks. Salt et Pepa se mettent en scène dans une drague en partageant leurs désirs par rapport aux hommes. Il s’agit en réalité d’une inversion des rôles hommes-femmes avec pour objectif de démontrer que ces dernières ne doivent pas nécessairement être passives dans les rencontres et qu’elles doivent oser montrer et affirmer leurs envies sans en avoir honte.

Un autre morceau fondamentalement Hip Hop, Break of Dawn produit par Salt, toujours avec Sparks, reprend un sample mythique de The Grunt des J.Bs, qui a d’ailleurs été samplé une multitude de fois dans le Hip Hop, notamment sur Proteck Ya Neck du Wu-Tang ou Last Wordz de 2pac, également en 1993. Mais ce morceau avait déjà été repris par Pete Rock et C.L. Smooth, Compton Most Wanted ou Public Enemy un petit peu avant. Salt-N-Pepa arrive à en faire quelque chose de brut et presque sombre, très éloigné des sonorités Pop habituel du groupe. Le trio n’a pas à rougir des autres titres proposants le même échantillon.

Somma Time Man est plus énergique avec un rap combattif qui s’adapte parfaitement au message transmis par le duo, une mise en garde contre l’infidélité des hommes, incitant les femmes à ne pas accepter ce type de comportement. 


La production Funky de Azor

L’une des beautés indéniables de Very Neccesary est la qualité de sa production et de son sampling terriblement efficace, des rythmes groovy et entrainants qui rappellent parfois EPMD. Les riffs de Funk sont merveilleux, très bien intégrés, et Salt et Pepa les magnifient avec un rap digne de ce nom, parfois énergiques, parfois plus doux pour une alternance parfaite. Mais si tous les morceaux de l’album ne sont pas basés sur l’échantillonnage, les productions de Azor, avec ou sans sample, sont plus Funky et fonctionnent aussi très bien. 

None of Your Business s’empare d’un accord de Your Sweet Lovin de Margie Joseph pour un morceau parfaitement Funky avec un refrain chanté sans tomber dans le cliché de la Pop. Le rap des trois rappeuses est toujours aussi convaincant, tout en prônant la liberté des femmes à disposer de leur corps comme elles le souhaitent et que finalement elles n’ont que faire du jugement qui peut leur être prodigué.

Somebody’s Gettin’ on My Nerves s’appuie sur un riff de basse redoutable accompagné de petits sons électroniques produit par les frères Azor, pas de sample ici, pour un rap combatif qui s’adresse directement à leurs concurrents masculins. Les trois femmes sont prêtes à en découdre et remettent les pendules à l’heure. Également produit par Azor, Big Shot est très efficace avec son rythme de basse Funky, si le rap du duo fonctionne plutôt bien, le refrain est quand-à-lui bien moins convaincant.


Une touche Reggae

La touche Reggae est aussi très bienvenue, et leur va finalement très bien, à commencer par le premier morceau, Groove Me, avec un riff de basse typiquement Reggae/Dub qui fait tout le charme de la chanson. Le refrain magnifie l’ensemble avec la voix masculine de Styowlz en alternance avec les rappeuses. On le retrouve également sur Heaven Or Hell, même si le morceau n’est pas fondamentalement Reggae, la petite basse douce peut rappeler le genre jamaïcain. Le mélange Disco/Funk avec le Reggae est très bien fait. 

Sexy Noises Turn Me On reprend également cette touche Reggae pour un morceau très doux produit par le duo de rappeuses elle-même. On s’éloigne du Hip Hop ici si on retire les couplets rappés, mais le morceau n’est moins attractif et la confiance avec laquelle Salt et Pepa confessent leurs désirs féminins est très novatrice. Ce morceau sera d’ailleurs une inspiration évidente des futures rappeuses des années 90.


Quelques retours à la Pop

Si les refrains sont globalement chantés, ils sonnent bien plus Hip Hop qu’auparavant avec des variations de rythmes et d’instruments très bien amenés accompagnés des voix superposées avec un chant qui est plus combattif, on s’éloigne de la mélodie de la Pop. Les exemples cités plus haut le prouvent sans conteste. D’un autre côté, elles proposent également des petites ballades beaucoup plus calmes, mais finalement très bien réalisées.

No One Does It Better est la première ballade douce de l’album pour une chanson à fort contenu sexuel, qui rappelle d’ailleurs Nobody Does It Better de Nate Dogg, sans doute un clin d’œil un peu taquin du chanteur West Coast. Whatta Man a également un aspect beaucoup plus Funk et Pop, notamment avec le refrain du groupe de Soul/Pop En Vogue. Même s’il s’éloigne du Hip Hop, le morceau propose des sonorités Soul avec un riff de guitare qui fonctionne parfaitement, pour un hommage aux hommes raffinés et courtois. Avec son sample de It’s a Funky Thing to Do de Hank Crawford, Step suit le même schéma, une ballade savoureuse mélangeant habillement Soul, Funk et Jazz.

Globalement, la patte Hip Hop de la production est plutôt de la main du duo de rappeuses alors que les sonorités Funk/Pop et home-made sont plutôt concoctées par Azor, même si on ne peut pas être aussi catégorique puisqu’il y a quelques contre exemples.


Un message précurseur à destination des femmes

L’album conclue par un message de mise en garde contre le SIDA avec I’ve Got AIDS (PSA), un dialogue entre un homme et une femme, qui vient d’apprendre qu’elle est séropositive et l’annonce à son compagnon. Je ne suis pas particulièrement fan de ce type de message un peu moralisateur, même si l’intention est louable et a plutôt vocation à sensibiliser la jeunesse.

Tout au long de l’album, Salt-N-Pepa utilise en effet son influence et son succès pour faire passer des messages sur la sexualité et devenir l’un des portes paroles de la libération des femmes, de la même manière qu’elles ont pu le faire sur les albums précédents. Le trio est en réalité un défenseur des droits des femmes et les incitent à avoir une sexualité assumée tout en mettant en garde contre les hommes malveillants et sur les dangers des maladies sexuellement transmissibles. Finalement, elles prônent le respect de la femme et l’égalité homme-femme dans les relations, aussi bien sur les aspects sociaux, amoureux ou sexuels.

Ce message influencera les rappeuses à venir comme Foxy Brown ou Lil Kim, et bien plus tard Nicki Minaj ou Megan Thee Stallion, qui reprendront ce combat en faveur de la libération de la femme, tout en étant beaucoup plus explicites et trash dans leur propos. Salt-N-Pepa fait en réalité partie des pionnier dans le domaine tout en restant beaucoup plus consensuels.


Very Necessary apparait à une période où le gangsta rap est légion et où la rap a une tendance beaucoup plus misogyne que quelques années auparavant. Paradoxalement, l’album est beaucoup Hip Hop que les précédentes réalisations du trio, ce qui rend le message encore plus puissant puisque le propos transmis dénote par rapport à la musicalité de l’album, le Hip Hop étant généralement plutôt masculin. Salt-N-Pepa a gagné en maturité, que ça soit au niveau de la musique ou des paroles. Le trio signe, à mon sens, son meilleur album, s’écartant légèrement des sonorités Dance/Pop pour un album plus Hip Hop et Funk, sans pour autant dénaturer l’identité musicale du groupe, et sans altérer et s’affranchir du combat qu’elles ont entrepris depuis le début de leur carrière.
Note : 4/5

Par Grégoire Zasa


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