Les folles aventures de Redman à Brick City

Les folles aventures de Redman à Brick City

Doc’s Da Name 2000, des sonorités électroniques à la Mario Bros

Def Jam , 1998

Un rappeur fidèle à lui-même

Le moins que l’on puisse dire est que le début de carrière de Redman est plutôt impressionnant, trois albums et trois classiques. Et si on peut débattre du statut de classique pour ces albums, ils sont à minima excellents, rares sont ceux qui s’aventurent à dire le contraire. Pourtant, le rappeur de Newark a un style bien particulier très identifiable et bien à lui, avec une personnalité unique. Son style ne plaît pas à tout le monde, mais une nouvelle fois, peu oserait contester l’immense talent du rappeur. Redman est en effet hautement respecté dans la communauté Hip Hop, que ça soit auprès des auditeurs ou auprès de ses paires.

Tous sortis sur Def Jam, Whut en 1992, Dare Iz a Darkside en 1994 et Muddy Waters en 1996 s’inscrivent tous dans la même période pour le Hip Hop. A la sortie de Doc’s Da Name en 1998, même s’il ne s’est écoulé que deux ans depuis Muddy Waters, le Hip Hop a changé. En réalité, le Hip Hop commence à entrer dans une tendance beaucoup plus commerciale tout en étant beaucoup plus ostentatoire. Nous sommes à l’aube de la tendance Rap/RnB avec des refrains chantés et l’arrivée d’artistes comme Ja Rule, Nelly et bien d’autres qui feront le succès du début des années 2000. Des artistes tels que Jay-Z, Nas ou DMX sont déjà entrés dans une spirale commerciale et dominent les charts avec des productions moins brutes dès la fin des années 90.

L’année 1998 est une année charnière, mais Redman n’est pas rentré dans cette nouvelle tendance, bien que son album sera en effet le mieux vendu de sa carrière et le premier à être certifié platine. Reggie Noble reste authentique et fidèle à lui-même, sa recette si unique reste similaire, avec une équipe de producteurs qui reste substantiellement la même.


Un album plus clivant 

Pourtant, Doc’s Da Name n’est généralement pas l’album de Redman le plus apprécié, et pour certains, il marque le début de la chute du rappeur avec des albums futurs qui ne seront jamais au niveau des trois premiers. En tout cas, cet album ne gagne pas le consensus du statut de classique presque unanimement octroyé aux réalisations précédentes. Et si on veut parler du meilleur album de Redman, Doc’s Da Name ne rentre que très rarement dans le débat. 

Que s’est-il passé pour qu’un album qui ressemble relativement aux autres soit beaucoup moins apprécié ? Est-ce le Hip Hop qui a changé et auquel Redman n’a pas pu s’adapter ? Ou est-ce simplement la recette de Redman pratiquement inchangée depuis trois albums qui s’essouffle d’elle-même ?


La recette de Redman

Revenons rapidement sur la recette de Redman. Rapidement puisqu’en réalité cette description pourrait s’appliquer aisément aux quatre premiers albums du rappeur, bien qu’il puisse y avoir malgré tout quelques nuances. Redman est un esprit fou, complétement défoncé à l’herbe avec des punchlines fracassantes et hystériques, mêlé à un sens de l’humour sauvage. Avec une énergie enragée, un charisme insolent et un flow meurtrier, il explose les instru comme un psychopathe. Côté thématique, rien de bien sorcier et surtout rien de concret, mais pourtant il nous emmène dans ses délires absurdes avec des histoires loufoques, très bien racontées avec un excellent talent de rimeur.

Dans un style qui lui colle à la peau, les productions sont bourrées de basses lourdes inspirées du P-Funk de George Clinton pour un style bien gras et excellemment Funky, généralement samplées du Funk ou de ses prédécesseurs du Hip Hop. S’entremêlent à ses beats déments, des skits toutes aussi hilarantes les unes que les autres.


Une direction artistique cartoonesque

Comme sur ses albums précédents, la majorité des productions sont signés par lui-même ainsi que Erick Sermon, même si on retrouve sur chaque album quelques invités exceptionnels, notamment Rockwilder qui lui offre une ou deux productions depuis Dare Iz a Darkside. Ici, on a Gov Mattic et Roni Size pour une production chacun. Rien de bien nouveau dans la liste des producteurs donc. La trame de fond restera naturellement la même, mais avec peut être un côté un peu plus expérimental, bien que le mot soit un peu fort. Il y a quelques petites originalités par-ci par-là. 

Au-delà de ça, la grosse particularité de Doc’s Da Name est la présence de Redman à la fois à la direction artistique, marketing et projet de l’album, suffisamment rare dans l’industrie de la musique pour être noté. Si ses autres projets présentaient déjà une création artistique déjantée, cet album n’est pas en reste avec des visuels cartoonesques inspirées de Mario Bros, ou plus largement des jeux vidéo. Et c’est notamment ce qui va faire la particularité de Doc’s Da Name, avec un thème central qui tourne plus ou moins autour du jeu vidéo et des sonorités légèrement plus électroniques.

On le voit très rapidement avec la couverture. Le mur de brique qu’il explose allégrement avec sa Timberland est un clin d’œil évident à sa ville natale, de la même manière que le stéthoscope est une référence à son surnom, Doc ou Funk Doc. La tenue rappelle le plombier Italien du jeu vidéo précédemment cité. Le titre pourrait laisser penser à un album plus personnel, voir même introspectif. Mais c’est de Redman dont on parle, nous emmener dans son univers déjanté et dans sa ville natale est déjà une forme d’introspection en elle-même, à la façon du Doc.


La production grasse et Funky typique de Redman

La tracklist est portée par des titres totalement déments. Avant une introduction où il nous souhaite la bienvenue dans la « Brick City », le premier morceau met directement dans l’ambiance folle de Redman avec Let da Monkey Out et ses cris de singes sur le refrain. 

I’ll Bee Dat est un autre moment fort de l’album avec une production un peu perchée composée d’un accord de basse, un petit xylophone et des bruitages de téléphone, concoctée par Rockwilder. L’autre single de l’album, Da Goodness avec Busta Rhymes, présente une production plus hachurée, finalement très minimaliste avec un riff de guitare repris de Caravan de Buddy Merril.  

Jersey Yo! s’inspire de Once Upon a Time in the Projects d’Ice Cube qui reprend le même sample de Betty Davis. Redman se l’approprie comme un génie avec un ego-trip délirant sur la fumette. Sans l’un des morceaux les plus réussi de l’album. Boohdah Break fait aussi partie des titres phares malgré qu’il soit très court, la production de Sermon est terriblement efficace.

Keep On 99 fonctionne sur un beat bien gras avec un refrain chanté de Redman qui fonctionne très bien. Le morceau suivant, Well All Rite Cha, suit le même modèle avec une production lourde et pesante sur laquelle Redman et Method Man se font plaisir à tour de rôle. Assez similaire à ce qu’on peut retrouver sur le premier album du duo, Blackout!, qui sortira l’année suivante. I Don’t Kare et Get It Live sont dans la même lignée avec un bon riff de basse.


Quelques originalités plus électroniques

Da Da Dahhh est la première surprise de l’album avec une production inhabituellement triste et mélancolique pour du Redman, avec un petit accord de guitare accoustique, mais le rappeur assure toujours même sur une production plus lisse.

Down South Funk produit par Erick Sermon est beaucoup plus électronique avec des petits bruitages aigues et stridents où Redman est réuni avec son compère de Def Squad, Keith Murray. Brick City Mashin! est tout aussi Funky avec son petit son électronique.

Dans la même idée, Dogs reprend le refrain de Cell Therapy de Goodie Mob sur le début de la chanson, avant un accord de synthé repris Ladies in Da House de Aaliyah superposé à une voix robotisée mâchonnant « dogs ». 

Cloze Ya Doorz propose une production assez rythmée, un genre de musique de jeu vidéo qui bug, très étrange. Sur My Zone!, on a presque l’impression se retrouver dans la peau de Mario qui récupère un bonus avec le petit bruit électronique bizarre. Assez surprenant aussi.

Le Soopaman Lova, le quatrième de la série, est peut-être le plus original mais il en est pas moins excellent avec son sample de You’ve Got a Hard Head de Johnny Watson qui reprend le riff de guitare et le « Oh Yeah Yeah ». Le morceau est sublimé par un excellent refrain chanté de Dave Hollister.

L’album conclue sur I Got Seecret, une production relativement expérimentale de Roni Size, qui pourrait elle aussi rappeler une musique de jeu vidéo. Ca fonctionne plutôt bien.


Finalement, Doc’s Da Name est peut-être le plus caricatural et celui qui représente le plus le style déjanté de Redman, tout en étant sans doute le plus expérimental avec des sonorités plus électroniques et en un sens plus futuriste. Même si la recette du rappeur du New Jersey reste inchangée sur ses différents albums, en réalité l’univers évolue légèrement au fil des réalisations avec une direction artistique et un thème central qui change, tout en nous foudroyant constamment avec son humour absurde et ses punchlines fracassantes. Il ne s’agit probablement pas du meilleur album de Redman, et mais ça reste un excellent album du rappeur porté par des titres monumentaux. Il faut dire qu’il a mis la barre très haute avec ses trois premiers albums, et son run impressionnant ne s’arrête pas encore avec Doc’s Da Name. 
Note : 4/5

Par Grégoire Zasa


Sur le même sujet

Laisser un commentaire